Le détail n'a pas échappé aux observateurs attentifs: Marcus Thuram a ajouté un emoji avion sur la story Instagram de Karim Benzema qu'il a repartagée mercredi. Ce qui est intéressant, c'est l'emplacement de cet emoji, que Thuram est soupçonné par de nombreux internautes d'avoir utilisé comme un cache.
L'autocollant masque en effet la boîte que l'attaquant des Bleus tient sur la photo originale de Benzema. Comme beaucoup l'ont remarqué, l'objet ressemble fortement à une boîte de snus, un produit largement utilisé dans le milieu du foot pro mais qui est encore tabou, et ce pour plusieurs raisons. Du coup, on comprendrait Marcus Thuram d'avoir voulu la dissimuler.
Marcus Thuram a vraiment cru que ça allait passer inaperçu 😭 pic.twitter.com/k7dCloTw13
— Vibes Foot (@VibesFoot) November 17, 2022
Le snus, c'est ce tabac conditionné dans des petites pochettes, semblables à des sachets de thé, qu'on place entre la gencive et la lèvre supérieure pendant quelques minutes, le temps que la nicotine pénètre dans les muqueuses. Les effets recherchés? Une augmentation de certaines capacités corporelles et un bien-être psychologique. «La nicotine a un effet sur le système nerveux. Pendant quelques secondes, elle va améliorer la captation des signaux. Il y a un effet cognitif qui donne l'impression d'aller plus vite, d'avoir des meilleurs réflexes, et... c'est sans doute vrai», explique le tabacologue Gérard Mathern dans le magazine So Foot (numéro de septembre 2022).
Hervé Martini, médecin du sport, observe aussi un impact du snus sur les athlètes:
Ces pochettes de tabac auraient aussi la capacité de calmer les footballeurs un peu bileux. «J'ai découvert le snus à 19 ans dans le club où je jouais en Australie», rembobine dans ce même article un pro qui souhaite rester anonyme. «Je me suis dit: "C'est dingue!" Ça m'a relaxé et fait tourner la tête, je me suis senti bien.»
Le milieu français Loïc Puyo (ex-Angers) a aussi joué aux Antipodes, lors de la saison 2020-2021. Et il a été choqué: «J'ai halluciné: 75 ou 80% de l'effectif avaient toujours un truc sous la lèvre, les plus jeunes comme les plus vieux.»
Thuram il se tape des snus en plein vol Azy pic.twitter.com/ec8lkipQDv
— The Rocket🚀 (@JosukeMCI) November 16, 2022
Mais pas besoin d'aller si loin pour voir de nombreuses lèvres se bomber. La star de l'AC Milan, Zlatan Ibrahimovic, s'est débarrassée de son sachet sur le banc de touche, aux yeux de tous, juste avant de faire son entrée dans un match de Serie A. L'Anglais Jamie Vardy et le Marocain Hakim Ziyech ont, eux aussi, été aperçus dans un stade avec du snus sur la gencive. En Suisse également, beaucoup de footballeurs en consomment, à en croire un ex de Super League:
Mais si autant de pros prennent du snus sans vraiment le cacher, qu'il a des effets bénéfiques et qu'il n'est pas considéré comme du dopage, pourquoi est-il encore si tabou? Pourquoi Marcus Thuram aurait-il cherché à dissimuler sa boîte? Sans doute déjà parce que le snus est dans une zone grise du point de vue légal. Dans toute l'Union européenne – hormis la Suède, d'où il est originaire et par où il est arrivé en Europe continentale au début des années 1990, via les athlètes nordiques de sports d'hiver –, il est interdit à la vente. Mais pas à la consommation. En Suisse, les pochettes sont légalement commercialisables depuis 2019.
Si le snus n'est que partiellement toléré et mal vu par beaucoup, c'est parce que le produit n'est pas anodin pour la santé, comme toutes les formes de tabac d'ailleurs. L'addictologue français Amine Benyamina alerte sur des risques de dépendance à la nicotine (et, donc, de porte d'entrée vers la cigarette), de dents qui changent de couleur, de lésions de la gencive ou encore de cancer de l'œsophage. Son confrère Hervé Martini confirme:
Son fort potentiel addictif s'explique par son importante teneur en nicotine. «Une dose de snus est environ égale à trois cigarettes», fait remarquer dans So Foot Philippe Kuentz, ancien médecin de l'AS Monaco.
Le témoignage d'une joueuse dans le magazine français laisse penser qu'il est effectivement autant difficile de se défaire du snus que du marquage du plus rugueux des défenseurs. Elle raconte sa cohabitation dans un centre de remise en forme post-blessure:
En plus de leurs risques de graves conséquences à long terme sur la santé, ces sachets de tabac créent des effets secondaires indésirables juste après leur consommation. «Avec un produit assez corsé, tu peux ressentir un état d'étourdissement pendant quelques secondes», témoigne le Français Yoann Fellrath, qui joue en 2e division suédoise. «J'ai voulu tester et je suis tombé malade cinq jours», raconte de son côté l'ex-Saint-Gallois Yrondu Musavu-King.
Loïc Puyo a, lui aussi, assisté à une mauvaise expérience:
Et puis, selon le médecin du centre de formation du FC Nantes, Maxime Coutrel, le snus n'aurait même pas un seul effet bénéfique puisqu'il ne serait qu'un placebo.
Certains de ses confrères accordent toutefois un point positif au produit: contrairement à l'idée qu'il est une porte d'entrée vers la cigarette, eux le perçoivent comme une alternative moins nocive à celle-ci. Ils en veulent pour preuve le fait que la population suédoise, grande amatrice de snus, n'a que très peu de fumeurs quotidiens (5%) et que le pays recense très peu de décès liés aux cancers du poumon ou aux maladies cardio-vasculaires.
Quoi qu'il en soit, Didier Deschamps et les dirigeants de la Fédération française de football se seraient très certainement bien passés de cette nouvelle polémique avant la Coupe du monde, qui vient s'ajouter à une liste déjà fournie (affaire Pogba, management du président et de directeurs problématique ou encore les droits à l'image de Mbappé).