Le FC Zurich a été contraint à l'exil la semaine dernière en Europa League. La raison? Un concert prévu dans son stade du Letzigrund. Du coup, c'est au Kybunpark de Saint-Gall que les champions de Suisse ont battu Heart of Midlothian (2-1) en match aller du barrage qualificatif.
Dans l'enceinte saint-galloise aussi, il y a eu de la musique. Celle, notamment, des supporters écossais. En plus des traditionnels chants d'encouragement, les visiteurs ont adressé un message aux Zurichois. Simple et explicite:
En français, ça donne quelque chose du genre: «Quel soutien de merde pour l'équipe locale!» Les Britanniques faisaient évidemment référence aux tribunes dégarnies du Kybunpark, où seulement 5000 spectateurs avaient pris place.
La chanson du moment dans la away end « what a shitee home support » pic.twitter.com/4L7QHJC4ak
— julien echenard (@julienechenard) August 18, 2022
Si la vulgarité du chant et sa cible ont pu surprendre les locaux, elles n'ont absolument pas étonné les connaisseurs du football british. Parce qu'au Royaume-Uni, se moquer des adversaires – voire de sa propre équipe – en chanson est un véritable sport.
Le moins qu'on puisse dire, c'est que les fans ont le sens de l'observation. Pour eux, toutes les raisons sont bonnes de s'égosiller et de railler: les performances sur le terrain, mais aussi l'apparence physique, la provenance géographique ou encore les exploits hors du terrain.
Le joueur de Newcastle Jonjo Shelvey a par exemple entendu les fans de West Ham chanter en chœur «Harry Potter, he is coming for you» («Harry Potter, il vient pour toi») pour moquer sa prétendue ressemblance avec Voldemort, le grand méchant personnage qui veut tuer le gentil sorcier.
Classic!
— Football Chants (@FootyFansChants) February 26, 2018
West Ham fans to Jonjo Shelvey:
"Harry Potter, he's coming for you!" pic.twitter.com/1v7VsCnC7C
Depuis quelques mois, c'est le défenseur de West Ham Kurt Zouma qui est la cible de chants – et autres miaulements – sarcastiques. Le Français est devenu un paria après la fuite, sur les réseaux sociaux, d'une vidéo le montrant en train de frapper son chat. Une aubaine pour les supporters adverses, qui ne manquent pas de rappeler cet épisode. «That's how your cat feels» («C'est ce que ton chat ressent») entonnent-ils plein d'enthousiasme à chaque fois que Zouma se roule de douleur sur la pelouse.
Outre-Manche, les chansons narquoises appartiennent à une tradition plus ancestrale: dans les stades, mais aussi sur les chemins qui y mènent, ou encore dans les pubs, les supporters adorent chanter. Plus que partout ailleurs. Et ce n'est pas un hasard: les Anglais ont écrit les premiers refrains à la gloire (ou pas) des footballeurs dès la fin du XIXe siècle.
C'est aussi au Royaume-Uni que la musique pop-rock, qui sert souvent de mélodie aux chants du kop, a électrisé les foules en premier. Les chants sont apparus en masse dans les années 1960, lorsque les sonos ont remplacé les fanfares. Les dédicaces spéciales aux joueurs se sont développées un peu plus tard, dans les seventies.
Contrairement à d'autres pays, le Royaume-Uni ne connaît pas, ou très peu, la culture ultra. Les fumigènes, banderoles et autres chorégraphies sont quasiment inexistants. De quoi laisser davantage de place aux chants, qui restent le moyen le plus simple d'exprimer et de revendiquer une appartenance. «C'est l'exemple d'une communauté qui raconte sa propre histoire sans avoir à passer par des journalistes ou des auteurs ou la télévision ou quoi que ce soit d'autre. C'est une occasion de s'exprimer en direct», analyse Nick Miller dans un article de The Athletic.
Manchester City fans really chanted "That's how your cat feels" when Zouma got injured. 😭😭😂😂😂#FootballWithDMEpic.twitter.com/P6hxDufnD0
— DME 🇳🇦 (@dme_363) August 8, 2022
Dans les travées, les chansons sont souvent entonnées de manière spontanée, en suivant le scénario du match ou ce qui se passe autour. «J'ai déjà vu un papy de 70 ans lancer un chant, repris ensuite par tout le stade», se souvient Raphaël Crettol, expert du foot britannique.
Si cette tradition perdure, c'est qu'elle est forcément appréciée. C'est aussi valable pour le chambrage. «Parfois, les fans applaudissent leurs rivaux quand ceux-ci entonnent un chant original, même si ce chant se moque de leur équipe», observe Raphaël Crettol. «A la fin du match, ils en discutent et en rigolent tous ensemble autour d'une bière.»
Certains trouvent aussi du plaisir à constater que leur chanson – qu'ils ont parfois composée eux-mêmes dans les bars ou sur les réseaux sociaux – est reprise par des milliers de spectateurs. «Une fois, j'ai lancé un chant au City Ground», explique Sam, fan de Nottingham Forest. «J'étais fou de joie. Mes amis m'ont donné des signes d'encouragement pendant le chant, et des félicitations après.» Cette montée d'adrénaline, Chris, autre fervent suiveur de la Premier League, l'a connue aussi :
Un humour particulier (british?), mais un humour quand même. Un trait singulier des chansons de fans anglais, écossais ou irlandais. Dans le reste du monde, les fous du ballon rond font également vibrer leurs cordes vocales, y compris pour houspiller l'adversaire. Mais leurs chansons à boire ne sont pas souvent du même tonneau.
A l'image du public, les footballeurs britanniques ont parfaitement intégré le principe. C'est le cas d'Emil Heskey, ancien attaquant de Liverpool, Aston Villa ou encore de l'équipe d'Angleterre. Il était moqué pour son manque de réalisme devant le but. En 2001, quand les Three Lions ont humilié l'Allemagne à Munich 5-1, leurs supporters en ont remis une couche en scandant «5-1! Even Heskey scored!» («5-1, même Heskey a marqué!»). Et qu'a fait le footballeur? Il a intitulé sa biographie, sortie en 2019, Even Heskey scored.