Patrick Fischer, en tant que joueur puis entraîneur, vous avez parcouru un long chemin du Championnat du monde B jusqu’à la finale de la division élite. Quels sont les facteurs qui ont rendu cette évolution possible?
C'est une combinaison de plusieurs éléments. Le hockey suisse s’est nettement développé. Les infrastructures se sont améliorées. Le travail des entraîneurs, qu’ils soient étrangers ou nationaux, a également joué un rôle important. Nos joueurs ont aussi et surtout pu bénéficier très tôt de l’apport de très bons hockeyeurs étrangers. Enfin, les moyens financiers ont contribué à cette évolution.
Quel rôle exactement joue l'argent?
La plupart des joueurs de la génération précédant la mienne étaient encore des amateurs. C’est à Lugano, sous Geo Mantegazza, que le professionnalisme a réellement débuté. Je fais partie de la première génération de joueurs qui a pu vivre du hockey.
Et ensuite?
Nous avons franchi une nouvelle étape, à partir de 1998, avec Ralph Krueger: il incarnait le professionnalisme et l’exigeait de chacun. Au départ, nous avons réussi à tenir défensivement sur la scène internationale, ce qui a posé les bases pour développer notre jeu offensif. Puis une nouvelle génération de joueurs, avec Nino Niederreiter et Roman Josi, est arrivée. La médaille d'argent en 2013 a été un tournant.
Vous étiez présent en 2013 en tant qu’assistant du sélectionneur national Sean Simpson. Qu’est-ce qui a rendu cet exploit possible?
Nous n'arrivons toujours pas à l'expliquer. Quelque chose a changé dans notre hockey durant ces deux semaines à Stockholm. Nous avons gagné le match d’ouverture contre la Suède avec beaucoup de chance, puis la deuxième rencontre contre le Canada aux tirs au but, là aussi avec un brin de réussite. A partir de là, nous avons abordé les matchs avec une certaine assurance et une vraie détermination: nous avons battu les Tchèques en quart de finale, puis les Américains en demi-finale. C’est durant ces deux semaines que nous avons découvert la foi en nos capacités, et depuis, nous avons cultivé cette confiance.
Mais le chemin entre la finale de 2013 et celle de 2018 a quand même été long et semé d’embûches. N'avez-vous jamais douté après votre prise de fonction à l’automne 2015?
Non. J’avais été licencié par Lugano en octobre 2015, puis Raeto Raffainer (réd: alors directeur sportif de la Nati) m’a appelé. Je lui ai demandé pourquoi il voulait que je devienne sélectionneur. Il m’a répondu qu’il voulait changer les choses et que j’étais quelqu’un qui n’avait pas peur du changement.
Comment en est-il arrivé à cette conclusion?
Lugano a été mon premier poste. Ma vision était de redonner au club sa grandeur d’antan, celle que j’avais connue en tant que joueur. Je voulais que le succès repose sur nos propres joueurs, et non sur des recrutements coûteux. Nous avons profondément changé la façon de faire, en adoptant une ligne stricte. Mais malgré deux éliminations en quart de finale, j’ai dû quitter mon poste en octobre 2015.
La fédération était-elle convaincue par votre vision?
Evidemment. «Raffa» avait vu que je pouvais apporter du changement. Avec Michael Rindlisbacher (réd: alors membre du conseil d’administration de la fédération, en charge de la partie sportive), nous avons élaboré une vision pour figurer parmi les six meilleures équipes mondiales. Nous étions d’accord pour dire que nous devions atteindre les quarts de finale chaque année et les demi-finales tous les trois ans. Depuis 2018, nous sommes sur la bonne voie.
Vous avez toutefois rencontré beaucoup de résistances au début de votre mandat.
Nous avons dû trouver un équilibre. Lors de mon premier Championnat du monde en 2016, Felix Hollenstein, Reto von Arx et moi-même dirigions l’équipe. Mais nous avions tous une approche offensive. C’est avec l’arrivée de Tommy Albelin comme assistant que nous avons réussi à trouver un meilleur équilibre.
L’esprit d’équipe s’était-il un peu perdu entre 2013 et 2016?
Oui, nous avons dû remettre l’accent sur cet aspect. Cela passe notamment par une règle claire: nous n’acceptons plus aucun refus lorsqu’un joueur est convoqué en équipe nationale. L’idée, c’est de dire: «Les gars, c’est grâce au hockey suisse que vous êtes devenus ce que vous êtes aujourd’hui, il est temps de redonner quelque chose».
Pourquoi n’y a-t-il plus de refus?
Cela tient à des règles: des règles qui font qu’un joueur ne peut tout simplement plus refuser de venir.
Pourtant, n’est-ce pas un honneur de représenter la Suisse?
Cela ne suffit pas. Ces dernières années, nous avons temporairement écarté des joueurs comme Denis Malgin, Dean Kukan, Simon Bodenmann, Fabrice Herzog ou encore Dominik Schlumpf suite à des refus. Les règles sont très simples: un joueur qui décline une convocation sans raison valable est suspendu pour un certain temps. Au contraire, si un joueur répond toujours présent, nous ne l’écarterons pas lors d'un Mondial à domicile ou d'un tournoi olympique au profit de quelqu’un qui ne se manifeste qu’à l’approche des grands rendez-vous.
Les joueurs acceptent-ils ces règles?
Nous avons élaboré ces règles en concertation avec les joueurs.
Y aura-t-il une grâce pour Lian Bichsel?
Non. Vous savez, ce n’est pas une décision que j’ai prise seul. Elle a été prise collectivement par la direction sportive, en concertation avec le groupe de capitaines.
Mais pour lui, il ne s’agissait que d'un refus en équipe des moins de 20 ans, et il est depuis devenu un professionnel en NHL.
Ces règles s’appliquent aussi aux équipes nationales juniors. Quand la Suisse convoque, on répond présent. C’est un message important pour la prochaine génération de joueurs.
Lian Bichsel ne participera donc ni au tournoi olympique ni au Mondial à domicile?
C’est exact.
Vous êtes maintenant entraîneur national depuis dix ans. Il n'y a vraiment jamais eu de doutes?
Je remets sans cesse mon travail en question, mais je n’ai jamais douté de ma vision: sortir de cette mentalité suisse un peu renfermée et craintive, avoir le courage de tenter des choses et de faire des erreurs. Le Mondial 2018 a été une sorte de libération qui nous a donné un peu d’air. En 2019, nous avons raté la demi-finale contre le Canada pour un souffle, avant de vivre une désillusion avec deux défaites en quart de finale face à l’Allemagne.
Après la deuxième défaite contre les Allemands lors du Mondial 2023, la pression est montée pour vous.
Le lendemain de notre élimination en quart de finale, j’ai voulu discuter de la confiance, en soulignant qu’elle devait quoi qu'il en soit perdurer au sein de l’équipe.
Avez-vous proposé votre démission?
Oui. Les joueurs ont répondu: "Non, nous continuons, c’est nous qui avons échoué, pas les entraîneurs".
Auriez-vous démissionné en cas de besoin?
Oui.
Avez-vous une explication pour ces deux défaites en quart de finale, en 2021 et 2023, contre l’Allemagne?
En 2023, nous n’avons pas bien assumé notre rôle de favori et avons été bloqués dans les moments décisifs. Nous avons donc volontairement mis l'accent sur la pression lors de la saison suivante afin d’apprendre à mieux gérer cette responsabilité. Cela a entraîné quelques défaites en matchs internationaux, mais c’était indispensable pour progresser et être performants dans les situations clés.
Lors du Mondial 2024 à Prague, ce blocage n’était plus perceptible.
Malgré la situation critique, nous sommes restés calmes et l’ambiance au sein de l’équipe était excellente. Nous avions travaillé de manière ciblée pour garder notre sang-froid et éviter un blocage similaire à celui de 2023: ralentir le rythme, faire preuve d’humilité et rester concentrés sur l’instant présent.
Avons-nous en quelque sorte surmonté le traumatisme des quarts de finale?
C’est exactement ce que nous avons fait. Nous avons particulièrement travaillé sur l’aspect mental. Notre coach en performance, Stefan Schwitter, a apporté un soutien précieux, notamment grâce à sa collaboration avec l’hypnothérapeute Adrian Brüngger, que nous avons fait intervenir ponctuellement pour ce tournoi.
De l’hypnose, vraiment?
Oui. Lors de séances à la fois collectives et individuelles.
Il s’agit désormais d’effacer le traumatisme des finales. Nous devons tirer les leçons de ces défaites. Notre système est basé sur l’attaque. Nous voulons être actifs, marquer des buts. Mais à Stockholm, contre les Américains, nous avons été un peu trop passifs, un peu dans l’attente, et quelque peu inhibés.
Le complexe de l’outsider suisse est-il toujours présent?
Même si les Américains avaient de nombreux joueurs de NHL dans leur équipe, nous n’étions clairement pas des outsiders. Néanmoins, cette conviction n’est pas encore totalement ancrée en nous. Nous avons trop peu pris de risques. Une défaite 5-1 m’aurait paru préférable. Bien sûr, Nico Hischier a manqué. Son talent individuel est difficilement remplaçable. Mais même sans lui, nous aurions pu gagner cette finale.
Etes-vous aussi un peu victime de la romance? Vous avez accordé à Andres Ambühl une bonne quinzaine de minutes de jeu en finale pour son dernier match en carrière. Ironiquement, c’est vous, avec votre vision courageuse, qui n’avez pas osé engager toutes les meilleures forces dans cette finale.
On peut le voir comme ça.
La saison à venir sera marquée par le tournoi olympique et le Championnat du monde organisé chez nous, à Zurich et Fribourg.
Nous sommes tout simplement très impatients de vivre ce Mondial avec notre public derrière nous. Plus nous transmettrons d’énergie, de passion et de joie, plus nous en recevrons en retour.
Est-ce plutôt un avantage ou un inconvénient de s’appuyer, pour le tournoi olympique et le Championnat du monde, sur au moins la moitié des mêmes joueurs, contrairement aux autres grandes équipes?
Plutôt un avantage. Les autres ont globalement des joueurs individuels plus talentueux. Mais le hockey sur glace est un sport d’équipe. Plus de la moitié de nos joueurs participeront à la fois au tournoi olympique et au Championnat du monde, ce qui nous permettra d’avoir une équipe similaire trois mois après les Jeux olympiques. Ce sera une bonne base.
Vous pourriez éviter bien des questions et des tensions si vous prolongiez votre contrat, qui expire après le Mondial, avant Noël.
Je n’y ai absolument jamais pensé et la situation de mon contrat ne m’intéresse pas du tout. Pour l’instant, il s’agit des Jeux olympiques et du Championnat du monde à domicile. Pour la première fois, je disposerai d’une équipe avec tous les joueurs de NHL lors du tournoi olympique, ce qui n’était pas le cas en 2018 et 2022. Je suis totalement plongé dans cette saison. Je savoure chaque instant, ma joie est immense.
Et si un club vous faisait une offre? Voire une franchise pour un poste d'assistant en NHL?
Ça ne m’intéresse tout simplement pas. Je n’ai ni le temps ni l’envie de penser à ce qui arrivera après.