Angleterre, Espagne, Italie, Allemagne, Turquie ou encore Serbie: autant de pays où le football est une religion, visités par Romain Guilbault. Le co-fondateur du site au-stade.fr est ce qu'on appelle dans le jargon un groundhopper: il voyage dans le but de visiter le plus de stades possible à travers le monde, souvent vers des destinations exotiques et pas franchement réputées pour le bon niveau de football. Qu'importe: ce qui compte, c'est l'ambiance.
Et justement, le Français de 31 ans, qui vit dans la région lyonnaise, a bouclé son tour des enceintes de Super League le 30 juillet, lors de Sion-Servette à Tourbillon. Il nous raconte son périple helvète.
Qu'est-ce que les stades suisses ont de particulier par rapport au reste du monde?
ROMAIN GUILBAULT: Les ultras craquent des fumigènes sans arrêt. Les amendes sont peut-être beaucoup moins chères que dans les autres pays, parce que si c'est comme en France, où la ligue rackette les clubs, ce serait tout simplement impossible! Je me suis même demandé si les fumigènes étaient légaux en Suisse, tellement il y en a.
Et d'où vient l'idée de visiter tous les stades suisses?
J'habite près de la Suisse, alors ça a commencé un peu par hasard avec un match à Genève. Et je suis tombé amoureux du foot suisse. Je le répète souvent: niveau ambiance, c'est le meilleur championnat accessible, où tu n'as pas besoin de prendre l'avion depuis la France.
Vraiment?
Oui. J'entends tout le monde dire qu'il ne se passe rien dans les tribunes en Suisse, que les gens sont gentils, qu'il n'y a pas de supporters, etc. Et je réponds: «Oh non, ce n'est pas du tout comme ça!»
On a le stéréotype du derby de Zurich: les mecs travaillent dans une banque en costard-cravate le lundi matin et, le dimanche, ils sont comme des fous furieux dans les tribunes!(rires)
Comment s'explique selon vous cette ferveur chez les ultras suisses?
D'abord, on les remarque plus qu'ailleurs. Sur l'ensemble du public, le taux d'ultras est beaucoup plus élevé que dans la majorité des pays. Quand on voit Bâle ou YB en Coupe d'Europe, la moitié de leurs fans dans le stade sont des ultras. C'est très différent en Allemagne, par exemple. Les stades sont grands et souvent pleins, avec de gros kops. Mais les ultras ne sont peut-être que 5000 sur 45 000 spectateurs. Ça veut dire qu'il y a 40 000 fans lambda, qui ne mettent pas d'ambiance.
Et la Suisse est un petit pays, donc les ultras se déplacent autant à l'extérieur qu'à domicile. Les parcages visiteurs sont souvent pleins.
Vous suivez les matchs au milieu des ultras?
Non, surtout pas en Suisse! A Bâle, YB ou Zurich, c'est beaucoup trop risqué. Ils sont hyper carrés, beaucoup plus qu'en France. Je l'ai fait seulement deux fois. A Bâle, j'avais choisi une place dans le kop, pour une question d'argent. Et il m'est arrivé une mésaventure...
... on vous écoute!
J'ai pris une photo d'un petit dessin au mur des WC, un petit truc insignifiant. Un ultra bâlois m'a vu et m'a bien fait comprendre qu'il fallait que je dégage. Il a voulu voir toutes mes photos sur mon appareil.
Et ils vous ont viré du stade?
Oui. Sur le coup, tu stresses un peu! Mais comme j'aime la culture ultra, j'ai même réussi à apprécier ce geste, après coup. Je me suis dit: «Ah ouais! Les mecs savent bien préserver leur territoire.»
Finalement, ce match contre Zurich a été annulé à cause d'un problème d'éclairage. Mais j'ai quand même eu du spectacle, parce que les ultras ont eu une heure pour faire de la pyrotechnie. J'étais refait!
Comment choisissez-vous les matchs?
C'est un choix assez simple, parce que niveau ambiance, il y a toujours au moins deux belles affiches par journée, grâce à la moitié des clubs qui ont une grosse base de supporters: le FC Zurich, Bâle, Young Boys, Saint-Gall et GC. Je cible aussi les duels où il y a une belle rivalité, parce que les parcages sont pleins et l'ambiance chaude. Dans cette optique, je suis par exemple allé voir Saint-Gall - Lucerne, dans chacune de ces villes.
J'évite absolument Lugano, parce que cette équipe n'a pratiquement pas de supporters. Et Sion ne m'intéresse pas non plus, à moins que ce soit le derby contre Servette.
Et alors, qui sont les meilleurs fans?
Ceux du FC Zurich. Leurs parcages sont complets, tout le monde chante avec la même motivation. Il n'y a presque que des ultras. Et les chants sont hyper entraînants, j'ai l'impression que c'est de la musique. Tu as envie de taper du pied, tu es à fond dedans. D'ailleurs, le meilleur match à voir en Suisse, c'est le derby zurichois FCZ - Grasshopper.
Et le plus beau stade?
Vous n'avez pas forcément les plus beaux stades, parce que beaucoup sont aussi des centres commerciaux. (rires) Je sais que je suis un peu le seul à le penser, mais j'aime franchement bien le Letzigrund de Zurich. Je trouve les matériaux utilisés assez stylés.
Dans certains stades, il faut arrêter le match dès qu'un fumigène est allumé. Le Letzigrund me fait penser à ces enceintes d'Europe de l'Est, où il y a aussi souvent un espace de fou entre le terrain et les tribunes, mais avec une ambiance de feu, comme le derby de Belgrade.
Et puis une petite mention spéciale à Winterthour. Tu vois que ce stade n'est pas fait pour le foot pro actuel, mais j'apprécie ce côté vétuste. Dans la tribune latérale, c'est du placement libre sans siège, un truc que je n'avais jamais vu! Ça oblige les gens à venir tôt au stade, parce que même s'ils sont abonnés, ils n'ont pas la certitude d'avoir de bonnes places.