L'Euro 2025 en Suisse a conquis le cœur des fans de football, une ambiance familiale, aucun débordement, des hôteliers ravis, tout se passe à merveille pour cette compétition qui accueille des centaines de milliers de spectateurs, mais au-delà des bilans chiffrés, l'événement est aussi une histoire de transmission familiale.
Amatrice de football, je tenais à amener mon garçon aux matchs et découvrir l'ambiance d'un grand événement sportif, mais cette découverte ne va pas sans questionnement. Est-ce que les enfants font réellement une distinction entre le foot masculin et féminin? Et surtout, est-ce que les filles savent mettre des lucarnes comme Cristiano Ronaldo? Entre volonté de promouvoir ce sport et réalité des préaux, tranche de vie d'un Euro en famille.
Autant que je me souvienne, j'ai toujours dû jouer des coudes (littéralement) dans la cour de récré pour me faire accepter dans les équipes des garçons. Alors que le sélectionneur du jour (généralement celui à qui appartenait le ballon), tirait un par un les joueurs, je ressentais une grande fierté lorsque j'entendais mon prénom appelé parmi les premiers. Celui-ci était souvent suivi du fameux: «c'est une fille, mais elle joue bien», le plus beau des compliments quand on a 10 ans.
Aujourd'hui, c'est mon petit bonhomme qui court après le ballon dans un club régional en catégorie junior G (entendez par là, des gosses de 5 à 6 ans). Dans cette catégorie, il n'y a pas vraiment de tactique, quasiment jamais plus de deux passes réussies et un manque criant de motivation quand les meilleurs copains ne sont pas dans la même équipe. Bref, rien de bien sérieux à cet âge. Ah si, la chose la plus sérieuse chez les juniors G, c'est probablement d'avoir le dernier maillot de son joueur préféré, mais on y reviendra.
Alors que l'Euro approchait, je tentais d'égrainer, lors d'un souper entre amis, quelques remarques sur cet événement majeur qui allait se dérouler en Suisse. Les échanges avec certains parents pouvaient se résumer ainsi:
A trop vouloir promouvoir le football, j'en oubliais qu'il était si genré. Pas découragée pour autant, j'offre les livres d'autocollants des footballeuses aux amis de mon garçon pour les encourager à regarder, du moins à s'intéresser à l'événement. Alors que nous collions les images une par une, les trois gamins se retournent vers moi avec un air interrogateur. «Cynthia, tu sais où est la carte de Messi?», je lève les yeux au ciel, c'est pas encore gagné.
Consciente que les autocollants ne suffiront pas à faire apprécier le football féminin, j'avais réservé des billets pour voir des matches en famille. Lors de la rencontre Portugal-Espagne, je glisse à mon fils que la numéro 11, Alexia Putellas, a deux Ballons d’or. Son regard s’illumine.
«Oui, et elle joue au Barça comme Salma Paralluelo, la joueuse préférée de maman et Lamine Yamal, lançais-je, convaincue qu'il se souviendra de la référence au Barça. J'aime à penser que les enfants sont comme des éponges, si vous leur soufflez une idée positive comme «admirer Putellas est aussi naturel qu'idolâtrer Cristiano Ronaldo», ils ne verront pas de différence entre le football masculin et féminin.
Une ancienne entraîneuse d'une équipe féminine me racontait que les petites filles avaient besoin de modèles féminines de réussite en football, de mon côté, je suis persuadée que le succès du foot féminin ne se fera pas sans les garçons qui ont aussi besoin de voir les performances féminines pour avoir de nouvelles idoles. En parlant de performance, l'Espagne ouvre le score grâce à un contrôle poitrine et extérieur du pied d'Esther Gonzalez. Mon fils saute de joie sur sa chaise et tente de reproduire le geste, sous le regard rieurs de nos voisins de gradins. «Elle a trop bien tiré maman la numéro 9» remarque-t-il. Cette fois-ci, pas de référence masculine, le but de la joueuse espagnole se laisse apprécier sans comparaison.
La collection d'autocollants n’avance pas très vite: dans son album, l’équipe suisse est encore incomplète. En bonne supportrice, je décide de lui offrir les maillots de ses équipes préférées (enfin… à cet âge, ce sont surtout celles de maman, soyons honnêtes). Arrivée au magasin, suprise, impossible d'en trouver en taille enfant.
Je fais remarquer au vendeur qu'il n'y a aucun présentoir dédié à l'Euro 2025 et rien de promotionnel, il me répond qu'il n'a rien reçu de spécifique et qu'il trouve cela bien dommage: «On reçoit plus d'assortiments quand c'est l'Euro masculin, mais pour le féminin, on a moins de choix, vous en trouverez plus dans notre magasin genevois».
Après avoir appelé un grand nombre de magasins de sport dans le canton de Vaud, je décide de commander les maillots sur internet, non sans avoir dû négocier âprement les couleurs (les enfants de 6 ans peuvent être de fins négociateurs). Au final, c'est le second maillot masculin de l'équipe suisse et le second maillot féminin de l'équipe d'Espagne qui remportent ses faveurs. «Regarde, elles ont le même maillot que moi», lance-t-il en montrant fièrement une affiche sur laquelle figure Aitana Bonmati, autre ballon d'or espagnole. Il ne se passera pas un jour sans qu'il ne porte un des deux maillots, c'est du sérieux, comme je vous le disais.
Les matchs s'enchaînent et les buts aussi. «Tu as vu ce boulet de canon maman?», me lance-t-il, époustouflé par le but de la Suissesse Alayah Pilgrim contre l'Islande. Mis à part quelques appréciations sur les tirs non cadrés, au ton parfois tout droit sorti d'un bar PMU, je n'ai relevé aucune remarque sexiste, rien. Point de comparaison entre une course qui serait plus lente chez les filles par rapport aux garçons comme l'aime à me rappeler un de mes collègues.
Ces remarques n'existent pas (ou pas encore) à la maison car nous louons les accélérations de Géraldine Reuteler et les buts de la française Delphine Cascarino comme d'autres parleraient de Shakiri ou de Kilian Mbappé. Après ces deux semaines de visionnage intensif de matchs, je me suis demandée s'il s'était fait une opinion sur les performances des joueuses, j'ai donc décidé de poser LA question fondamentale: «Alors, c'est qui ta joueuse préférée durant cet Euro?», quelques secondes d'hésitation et il me répond: «Je ne sais pas trop, je ne connais que Salma parce que c'est celle que tu préfères». De véritables éponges ces enfants.