Une telle affaire n'avait jamais été vue en Suisse. Elle concerne un généraliste bernois, ayant enfreint plusieurs règles antidopage, et venant d'être condamné pour cela à l'issue d'une procédure longue et complexe. Son amende de 43'000 francs et sa suspension de 14 ans constituent des records dans la lutte antidopage suisse.
En janvier 2018, le parquet avait effectué une perquisition dans le cabinet du «Docteur M», son surnom donné par les médias. Il avait ensuite été prouvé que le médecin ayant participé à l'Ironman d'Hawaï s'était lui-même dopé, avait vendu entre 2015 et 2018 des produits comme de l'EPO, de la testostérone et des hormones de croissance à plusieurs sportifs amateurs, et avait au moins tenté de doper des athlètes de haut niveau, dont un cycliste professionnel.
L'affaire a été révélée en 2018 par un reportage télévisé du journaliste allemand Hajo Seppelt. Il avait à l'époque filmé le «Docteur M» dans son cabinet, alors en train de lui expliquer un leurre au sujet du dopage. La perquisition avait été une conséquence directe du film. L'agence suisse de lutte contre le dopage Swiss Sport Integrity (SSI) suivait apparemment elle aussi de près les activités douteuses du professionnel de santé.
Le médecin avait été condamné en juillet 2022 par les autorités de poursuite pénale à une amende de 21'000 francs, ainsi qu'à des frais de justice de 34'000 francs, pour de multiples infractions à la loi sur l'encouragement du sport, entrée en vigueur en 2012.
Voici désormais la toute première décision disciplinaire rendue par le Tribunal du sport suisse à l'encontre d'un médecin. En plus d'une amende de 14'000 francs et d'une indemnité de partie de 29'000 francs, il lui sera interdit de participer en tant qu'athlète à des manifestations sportives, de travailler en tant qu'encadrant dans le domaine du sport, et de s'occuper, en tant que médecin, de sportifs de haut niveau enregistrés auprès de Swiss Olympic, tout cela durant 14 ans.
La sanction financière, d'un montant record dans la lutte antidopage en Suisse, s'explique par le fait que le médecin a gagné de l'argent grâce à ses activités illicites; environ 20'000 francs. L'application concrète des sanctions soulève toutefois quelques questions.
Il semblerait que Swiss Sport Integrity n'ait pas eu le droit de mentionner le nom du praticien de santé lors de l'annonce du jugement, pour des raisons importantes. Celui-ci n'apparaît visiblement que sur la liste suisse des sportifs sanctionnés pour dopage, ainsi que dans le document de l'Agence mondiale antidopage (AMA) incluant les autres encadrants suspendus dans le monde entier. Cette dernière comprend actuellement 172 personnes, dont plusieurs médecins, parfois même suspendus à vie.
Les sportifs qui feraient appel de leur propre chef à l'assistance du médecin seront également coupables selon les règles antidopage. Mais comment pourraient-ils le savoir si le nom du praticien n'est pas révélé au public? En outre, il y a un flou sur l'éventuelle relation médecin de famille-patient, par ailleurs athlète. Il n'existe aucun précédent à ce sujet en Suisse.
Après avoir temporairement disparu de la scène, le professionnel de santé exploite à nouveau son propre cabinet dans un quartier périphérique de Berne. Les critiques sur le web montrent qu'il est constamment loué par ses patients. Jusqu'à mardi, on trouvait également parmi les appréciations l'excellente note d'un ancien coureur national de demi-fond, devenu aujourd'hui entraîneur. Le commentaire a depuis été supprimé.
Le «Docteur M» n'a pas eu et n'a pas de mandats officiels auprès de fédérations sportives. Il n'est pas non plus membre de la Sport & Exercise Medicine Switzerland (SEMS), l'Association suisse des médecins du sport. Il n'a donc pas à être exclu. Le retrait de son autorisation d'exercer, demandé par certains confrères médecins du sport, n'est pas à l'ordre du jour.
Le directeur de Swiss Sport Integrity, Ernst König, tire néanmoins un bilan positif de cette affaire: «Nous sommes très satisfaits de ce jugement. En matière de dopage, il est incomparablement plus difficile de poursuivre un médecin qu'un athlète. Le secret médical lui offre une certaine protection.»