Gareth Southgate a tenté un coup de poker dimanche soir. Mais il a perdu. Le sélectionneur anglais a fait rentrer Jadon Sancho et Marcus Rashford à la dernière minute des prolongations, uniquement pour qu'ils prennent part à la séance de tirs au but. Et tous les deux ont raté leur essai, tout comme le malheureux Bukayo Saka. L'Italie en a profité pour remporter l'Euro 2020.
Même s'il les a assumés dans la presse après la défaite de son équipe, les choix de Southgate ont de quoi étonner. Pour plusieurs raisons.
La première est évidente: même s'ils se sont échauffés sur la touche, Sancho et Rashford n'ont pas eu le temps de rentrer dans la partie physiquement ni mentalement. Ni même de prendre confiance avec le ballon, puisqu'ils ne l'ont quasiment pas touché.
Risqué donc de leur faire exécuter un geste technique délicat, qui le devient d'autant plus sous pression. «Je n'ai pas compris ces changements si tardifs», avoue Christophe Moulin. L'ex-entraîneur du FC Sion avait lui aussi effectué un remplacement dans les dernières secondes des prolongations lors de la finale victorieuse de Coupe de Suisse des Valaisans contre Young Boys en 2006, aux tirs au but.
Il avait lancé Didier Crettenand – tireur heureux – à la place de Léonard Thurre, «mais pas pour tirer un pénalty, c'était un remplacement par obligation», précise le technicien. Qui a senti, derrière sa TV, que la décision du sélectionneur des Three Lions n'était pas bonne:
Faire rentrer des joueurs uniquement pour tirer un pénalty, c'est aussi les étiqueter experts en la matière. Et potentiellement leur rajouter une couche de pression liée à la peur d'un échec, que leur interdit leur statut. Geir Jordet, un psychologue norvégien du sport spécialiste du football, a montré dans une étude que les footballeurs élevés au rang de stars sont plus propices à échouer lors de tirs au but. «Cela accentue les attentes et la pression. Et, avec plus de pression, ils sont moins performants», analyse le chercheur scandinave.
La Française Delphine Herblin, elle aussi psychologue experte en football, précise dans L'Equipe qu'«un jeune (joueur), à l'inverse, aura une pression extérieure moins importante.» Voilà qui pourrait presque justifier la résolution du coach britannique d'avoir fait tirer Bukayo Saka (19 ans) en dernier.
Sauf que pour gérer les émotions inhérentes à un tel moment – une finale d'Euro, où le pays hôte doit marquer son tir pour rester en vie – l'expérience est cruciale. Et le milieu d'Arsenal n'en avait tout simplement aucune: avant dimanche soir, il n'avait jamais tiré un pénalty de sa carrière... «C'est incompréhensible d'avoir désigné Saka, s'émeut Christophe Moulin. C'est inhumain de faire tirer ce pénalty à un jeune de 19 ans.»
«C'est terrible pour ce jeune joueur, déplore Pierre-André Schürmann. La suite va être difficile pour lui.» L'ancien entraîneur du Lausanne-Sport, de Neuchâtel Xamax et du FC Sion a vu juste: depuis leurs ratés, Saka, Rashford et Sancho sont les cibles d'insultes racistes sur les réseaux sociaux.
Les erreurs tactiques de Southgate sont d'autant moins pardonnables que le sélectionneur des Three Lions avait, depuis plus de trois ans, mis un point d'honneur à travailler les séances de tirs au but. Un labeur qui avait permis aux joueurs de Sa Majesté de vaincre leur malédiction dans cet exercice – cinq défaites consécutives entre 1996 et 2012 Coupes du monde et d'Europe confondues – lors du Mondial 2018 (victoire en huitièmes de finale contre la Colombie). Avec leur revers dimanche soir face à l'Italie, les Anglais en sont à seulement 22% (2 sur 9) de succès en tournois majeurs après les tirs au but...
Pour Roy Keane, ancienne star de Manchester United, Gareth Southgate n'est pas le seul responsable de cette désillusion. Le bad boy irlandais a fustigé sur la BBC les joueurs expérimentés des Three Lions, notamment Jack Grealish et Raheem Sterling, qui se sont, selon lui, défilés:
Gareth Southgate et ses joueurs ont maintenant 18 mois pour travailler leurs tirs au but d'ici la Coupe du monde 2022 au Qatar, où ils feront partie des favoris mais où ils pourraient bien de nouveau avoir à poser le ballon quelques fois sur le point des onze mètres.