Notre identité circule sur les réseaux sociaux, apparaît sur les cartes de fidélité, l'abonnement de téléphone, le compte Tinder ou encore le leasing de la voiture. Pourquoi refuser de la décliner à l'achat d'un billet de match? C'est la question que nous nous sommes posée en assistant au mouvement de protestation conjoint des ultras du LHC et de Davos, dimanche soir à la Vaudoise aréna.
À la 5e minute du match, les deux camps de supporters ont critiqué ensemble, à grands renforts de chants et de banderoles, le contrôle d’identité des fans visiteurs (le fameux Scan ID) actuellement en place à Lausanne. Plusieurs dizaines de soutiens Grisons ont d'ailleurs refusé de se rendre dans le parcage qui leur était réservé. Ils se sont massés à l’étage supérieur, dans un secteur auquel ils ont eu accès sans avoir besoin de décliner leur identité.
Mais pourquoi les supporters de hockey (et de foot) détestent les billets nominatifs? Pour le savoir, nous avons sollicité deux experts des tribunes: le premier les analyse, le second les anime. Nicolas Hourcade est sociologue du sport, auteur de plusieurs ouvrages sur le supportérisme en France. «Laurent» est un ultra respecté du hockey romand. Il s'agit d'un prénom d'emprunt, ce qui n'est pas anodin pour le sujet qui nous occupe. Car être ultra, c'est aussi cultiver un secret. «On le voit bien sur les réseaux sociaux. Lorsque les groupes diffusent des photos de leurs membres, ils floutent systématiquement les visages», pointe Nicolas Hourcade.
L'expert ajoute: «Ces supporters souhaitent préserver un certain anonymat pour ne pas être discrédités du fait qu'ils appartiennent à tel ou tel groupe. Ils entendent également protéger leur existence dans d'autres sphères sociales, sachant que le fait d'être ultra est parfois perçu comme sulfureux. Ils ne veulent pas, enfin, que cette appartenance puisse leur être reprochée dans leur vie de tous les jours, notamment lorsqu'ils recherchent un emploi.»
Nicolas Hourcade invoque une deuxième raison dans le choix de ne pas révéler son identité aux abords des patinoires. Il explique que les ultras «ont le sentiment d'être en permanence fichés et surveillés», et qu'ils considèrent ces contrôles comme excessifs, «surtout qu'on ne donne pas forcément son nom quand on achète une place de théâtre ou de cinéma».
Les supporters dénoncent aussi l'utilisation des stades et patinoires en tant que laboratoires de la surveillance et de la répression. Hourcade ajoute qu'il y a chez eux «le sentiment très fort de ne pas être considérés comme des citoyens comme les autres. Ils estiment être les victimes de mesures d'exception qui ne s'appliquent qu'à eux, et soutiennent que les autorités sanctionnent plus sévèrement leur conduite que les mêmes comportements observés ailleurs, précisément parce que les ultras sont très médiatisés, donc plus visibles.»
Ce souci de discrétion vient aussi de comportements moins avouables. «Les groupes ultras ont différents types de pratiques, reprend Nicolas Hourcade. Certaines sont extrêmement positives et appréciées des clubs comme les chants, l'animation ou les chorégraphies. Mais d'autres sont prohibées, comme l'utilisation des engins pyrotechniques ou certains débordements. Or les ultras ont compris que s'ils n'étaient pas nommément identifiés, il serait moins simple de les interpeller.»
Cet article a été adapté d'une première version parue sur notre site en octobre 2021.