Les images de fans prostrés, scrutant le ciel dans l’attente du salut (sinon du buenos dias), jusqu’à ce que le jet de Messi n'apparaisse dans un halo comme Jésus reviendrait parmi les siens, cette foule dévote qui a psalmodié «Meeeessi, Meeeeessi» dans tout Paris, avec les accents traînants de ceux qui patientent depuis 2000 ans, a bien quelque chose de christique. Au minimum, de parodique.
Il ne faut pas en vouloir aux prêtres de Suisse romande que nous avons interrogés s’ils prennent ombrage de cette ferveur: le business de l'idolâtrie, dans le football, a repris tous leurs concepts.
«Lorsqu’«il» (ndlr: avec une minuscule, attention) apparaît au balcon, nous nous demandons s’«il» ne va pas donner la bénédiction urbi et orbi, comme cet autre Argentin qu’est le pape François», observe l’abbé François-Xavier Amherdt, professeur de théologie à l’Université de Fribourg et ancien arbitre de Ligue nationale.
Il est tentant de croire qu’avec un nom pareil, la scénarisation de sa grandeur et les fidèles qu’il traîne à sa suite, «Messi en devient presque un demi-dieu. Je dis «demi» car, en l'occurrence, il n’y a pas de «e» à la fin», souligne Benjamin Corbaz, pasteur dans l'Eglise évangélique réformée du canton de Vaud et fidèle supporter du Lausanne-Sport (autre preuve de sa charité chrétienne).
Face à l'espoir qui s’est emparé de Paris depuis l’arrivée de Messi, Benjamin Corbaz «éprouve un double sentiment qui mêle l’admiration pour le joueur et l’impression d’un imbroglio religieux entre le trio Père - Fils - Saint Esprit, et la sainte trinité Messi-Mbappé-Neymar.»
On ne parle pas de Messi comme de n’importe quel footeux. Tout chez lui procède de la parole d’évangile: ses buts sont des délivrances, ses passes des offrandes. Lorsqu'il écrase la Bolivie, on dit qu’il marche sur l’eau. Usurpation d’identité?
«Bien sûr que cette dévotion est totalement excessive! Il ne faut pas confondre génie et sainteté», s’étrangle Pierre-Yves Paquier, ancien pasteur, passionné de football et auteur de «Buts, Stars et Messi(e)» aux éditions Jardins du livre - «j’avais écrit cette brochure au moment où Messi n’était encore qu’un grand espoir du Barça», relève le sexagénaire visionnaire.
Mais avec ce Messi en claquette-chaussette, sans autre message que «refresh your world» ni autre vocation que de transformer la sueur en points, il y a manifestement erreur sur la personne, une forme assez naïve d’imposture; mais François-Xavier Amherdt rappelle que Dieu reconnaîtra les siens:
Et puis, il y a le style, la posture céleste du buteur providentiel, yeux et paumes tournés vers le Haut, une attitude qui ne trompe pas François-Xavier Amherdt: «Quand il se met en scène quasiment avec les bras en croix, il pousse très loin le mimétisme avec le vrai Messie.»
Puis d’ajouter: «Et ça marche! Le public parisien en redemande et voit déjà le PSG champion d’Europe, grâce aux «miracles» dont il est certain que sa nouvelle «diva» va se rendre capable.»
Pierre-Yves Paquier est plus magnanime: «Cette façon de regarder vers le ciel quand il marque est peut-être du mimétisme, mais je préfère y voir un signe de reconnaissance envers quelque chose de plus grand, de plus élevé. Je ne pense pas que Messi se prenne pour Dieu. Ronaldo, en revanche, c’est beaucoup moins sûr.»
Admirer ou aduler: c'est là une dualité que les bonnes consciences peinent à arbitrer. «Peut-être que Neymar, qui est profondément chrétien et porte des t-shirt «100% Jésus», est un brin heurté par cette «messianisation» du monde», espère Benjamin Corbaz.
Reste le constat: il y a davantage de monde dans les stades que dans les églises, et le football est devenu leader mondial sur le marché de l'idolâtrie. «Le foot profite certainement d’un recul du sentiment religieux, ou plus exactement, de la peur que suscite l’institution globale», concède Benjamin Corbaz.
«Comment peut-on parler de concurrence? Il n’y a pas photo, rit Pierre-Yves Paquier. Jésus a sauvé le monde, Messi n’a sauvé que son équipe. On ne peut tout de même pas confondre le vraie Messie, alias Jésus Christ, alias le fils de Dieu, avec l’autre Messi, ce petit gars aux pieds en or dont les actions sont évidemment admirables, notamment les coups-francs, mais n’ont pas du tout la même portée.»
Si l’église subit une baisse de fréquentation, les symboles religieux, eux, restent très en vogue: «Il y en a pléthore dans la presse et la rhétorique sportive, relève Benjamin Corbaz. Il est logique que la com’ du PSG joue de ce marketing religieux qui, lui, continue de bien marcher.»
«Pourquoi cette dévotion, ces incantations quasi religieuses?», se demande François-Xavier Amherdt, avant de répondre lui-même:
Si Jésus revenait parmi les siens, sans doute serait-il jaloux des footballeurs. Mais si Jésus atterrissait au Bourget, ne rassemblerait-il pas une foule encore plus pieuse et nombreuse?
Peut-être parce qu’il est jeune et au fait des versatilités de ce monde, ou peut-être parce qu’il a beaucoup fréquenté la Pontaise, Benjamin Corbaz soutient que des banquettes vides peuvent cacher une foi immense. Il ne voit pas davantage de fatalité à la désertification des églises qu’à la sacralisation de Messi.
François-Xavier Amherdt soutient que la mythification du footballeur est un pis-aller pour chrétiens angoissés:
«Je suis plutôt amusé par cette dévotion, nuance Benjamin Corbaz, même si elle me paraît inappropriée. Je trouve qu’elle dit beaucoup de notre société, où les gens sont moins ouvertement religieux mais, à contrario, mettent des sentiments religieux ailleurs, notamment dans le football.»
Mais si le diable est un ange qui a mal tourné, pourquoi Messi ne serait-il pas un demi-dieu qui a perdu sa lettre de noblesse?