Louis Morano, alias «Louis Flips», n'a que 18 ans, mais il compte déjà 95 000 abonnés sur Instagram. Le jeune Lausannois – étudiant au Gymnase de la Cité – est l'un des illustres représentants d'une discipline qui cartonne sur ce réseau social: le cliff diving. En français, le plongeon depuis des falaises.
Ces acrobates réalisent de véritables prouesses, mêlant courage et virtuosité. Louis Morano, par exemple, s'élance depuis 40 mètres et enchaîne les saltos et vrilles. Le jeune Romand fera découvrir un échantillon de son talent ce jeudi 28 août à 12h30, à Saint-Prex (VD). Il fera une démonstration depuis le plongeoir de la plage du Chauchy, dans le cadre de l'événement caritatif «Swim4lemanhope». Léman hope est une association qui récolte des fonds pour des jeunes en rémission du cancer et offre à ceux-ci des croisières sur le lac (lien vers le site en cliquant ici).
Louis Morano nous raconte les coulisses de son sport, le cliff diving. Une discipline hors du commun.
A quoi on pense juste avant de sauter d'une falaise, quand on est en haut?
LOUIS MORANO: Ça dépend du saut. Quand on est certain de le réussir, on visualise l'enchaînement des figures, les pas d'élan et on s'assure que tous les paramètres de sécurité sont respectés. Par exemple que les amis sont au bon endroit dans l'eau ou qu'il n'y a pas de pierre autour. Ensuite je fais mentalement mon compte à rebours de 10 à 1, et go!
Et c'est comment, pour un plongeon plus compliqué?
Quand c'est plus haut ou que la technicité est plus grande, là on remet un peu tout en question juste avant de s'élancer. On se demande: «Est-ce que ça vaut vraiment la peine que je prenne autant de risques?»
C'est très important de s'écouter. Moi, ça m'est souvent arrivé de repousser à plus tard un saut difficile car, au dernier moment, je ne le sentais pas.
Et c'est quoi alors, la recette pour se sentir suffisamment en confiance et y aller?
J’aime bien me faire à l'avance une petite liste de tricks (figures) que j’aimerais réaliser. Jusqu'à la veille d'un saut, je l'ajuste. Ça m'arrive souvent de changer. Je peux me dire: «Non, si je fais cette figure demain, ça va être trop difficile..». Ou au contraire: «Ah! Je pourrais faire celle-là en plus!» Normalement, quand je vais sur un spot, peu importe la hauteur, j'essaie de réussir un saut. Mais j'adapte la difficulté technique à la hauteur. Et il y a une chose qu'il faut vraiment éviter...
Laquelle?
Changer de plan au dernier moment, juste avant de s'élancer. Ça m'est déjà arrivé, mais c'est dangereux. On ne peut plus visualiser l'enchaînement des figures, et on risque du coup de s'embrouiller. J'ai des potes qui ont fait ça, et il se sont pris un plat en arrivant dans l'eau...
Et vous, vous avez déjà eu une grosse frayeur?
Oui, et c'était il n'y a pas très longtemps, en février, dans la région d'Annecy. C'était le premier grand saut de l'année que je faisais, un 25 mètres, après m'être entraîné tout l'hiver quasi exclusivement à la piscine. J'ai tenté un enchaînement de figures trop compliqué, que je n'avais jamais fait avant. Il y avait aussi pas mal de vent, il faisait froid, je crois que ça m'a déstabilisé.
Heureusement, j'ai pu rectifier mon saut. J'ai eu la chance de toujours garder le contact visuel avec l'eau et que ma mémoire corporelle soit activée. J'étais comme en mode pilote automatique. Ça, c'est grâce aux nombreuses heures d'entraînement, durant lesquelles on répète les figures.
Et justement, vous vous entraînez où et comment?
J'essaie d'aller une à deux fois par semaine à la piscine, sur des plongeoirs. L'hiver, à celle de Mon-Repos, où il y a des planches à 1 mètre et 3 mètres. Là, je peux travailler les figures, décortiquer les mouvements. Mais dès que mon saut comporte quatre rotations, ça devient impossible de faire tout l'enchaînement aux 3 mètres. Alors en été, je profite d'aller aussi à Bellerive, en plein air, où il y a le plongeoir des 10 mètres. Et je vais en principe toujours avec au mois un pote.
A deux, ça motive?
Oui, exactement, on s'encourage et on se tire vers le haut. Mais un ami peut aussi sentir quand tu manques de confiance, que tu hésites, et te dissuader de tenter le diable. On profite aussi de la présence de l'autre pour filmer nos sauts: c'est très pratique pour analyser notre performance et savoir ensuite quoi corriger, par exemple.
Les vidéos, ça permet aussi d'alimenter les réseaux sociaux. D'ailleurs, vous avez 95 000 abonnés sur Instagram. C'est un sacré nombre pour un jeune Romand de 18 ans!
Oui, mais je ne fais pas du plongeon pour être connu sur Instagram. Je n'ai aucune envie de devenir influenceur ou que mon compte devienne professionnel. Je veux garder de l'authenticité. D'ailleurs, je poste régulièrement des photos de ma vie privée, avec mes amis ou ma copine. Et je gère mon compte moi-même. Je ne souhaite pas en faire mon métier, ça doit rester un loisir.
Aujourd'hui, vous pourriez en vivre financièrement?
Non, je ne gagne que de l'argent de poche et des vêtements, par exemple. Je collabore avec des petites marques locales, qui me rémunèrent comme ça quand je leur fais de la publicité dans mes stories ou mes publications. Pour en vivre, il faudrait faire ça à 100%. Mais comme je l'ai dit plus tôt, ce n'est pas mon intention. Après le gymnase, dès l'année prochaine, je souhaite étudier le sport à l'université.
On vous reconnaît dans la rue, à Lausanne?
Oui parfois, et c’est assez mignon. A la piscine, régulièrement, des petits gars qui font des sauts m'abordent. Ou quand j'entre dans un magasin, j'entends: «Ah! C’est toi, Louis Flips?!» Ça me fait d'ailleurs marrer d'entendre mon surnom, Flips. Et ça m'arrive de poser pour quelques selfies. C’est plaisant de voir que mon travail, entre guillemets, est reconnu. Ça fait toujours chaud au cœur de constater que des gens te suivent et aiment ce que tu fais.
Au fond, c'est quoi qui vous pousse à plonger depuis des falaises?
C'est le plaisir. Ça me permet de voyager, de rencontrer de belles personnes, de découvrir de superbes endroits naturels et prendre mon pied sur des cascades ou dans la mer. Et il y a aussi le côté surpassement de soi. J’adore repousser mes limites. Je reste toujours conscient des risques, mais j'aime toujours, par exemple, tenter une nouvelle figure, même sur un spot que je découvre. Ajouter des mètres, une vrille.
Et de voir qu'un autre a sauté depuis plus haut ou a réussi un saut plus dur techniquement, ça vous motive aussi à vous surpasser?
Bien sûr, voir les autres qui réussissent un exploit, ça titille. Mais je ne considère vraiment pas mon sport comme une compétition. Au contraire: quand un autre plongeur réussit une perf', on est tous heureux. Car ça fait progresser notre discipline. En plus, on se connaît quasiment tous. Alors on est content quand on voit quelqu'un qui réussit un saut difficile sans se blesser. Cette solidarité, c'est aussi ça qui est très beau dans notre sport.
Il n'y a pas, malgré tout, une course au buzz, avec celui qui sautera depuis la plus haute falaise?
Moi, ça ne m'intéresse pas du tout. Mais je connais un gars qui exagère quant à ses exploits sur Instagram. Il écrit qu'il a sauté 52 mètres, alors que ce n'était que 36. Les gens qui voient ses vidéos le croient. C'est dommage, ça détériore l'image de notre sport.
Revenons à du positif: c'est quoi, votre plus beau souvenir de saut?
Ouf, difficile, vous me prenez à froid là! (rires) Je pense que c'est mon premier 40 mètres, en mai 2024. Le meilleur saut de toute ma carrière. J'avais 16 ans. C’était une sensation formidable, je m'étais entraîné toute une saison pour ça.
Vous êtes donc dans le Guinness Book?
Non, parce qu'à ce moment-là, je ne savais pas comment faire pour y apparaître. Je ne savais pas qu'il fallait les contacter. Je voulais juste faire mon saut, je n'étais pas dans ce délire-là. J'ai su seulement plus tard que j'avais battu un record du monde, grâce à des gens qui m’en ont parlé. Mais vous me donnez une idée: si je trouve le temps un de ces jours, je contacterai quand même peut-être le Guinness Book! (rires)