Les joueurs, hilares, se courent après sur la pelouse avec d'énormes chopes de bière blanche à la main. Ils n'ont qu'une idée: les renverser sur la tête d'un coéquipier. Les vidéos et photos des sacres du Bayern Munich en Bundesliga sont devenues cultes. Ça fait maintenant dix ans qu'on les voit chaque mois de mai, à la fin de la saison.
Samedi, le populaire breuvage n'a pas coulé sur le parquet de la salle de la Riveraine à Neuchâtel, mais il aurait pu: les basketteurs du Fribourg Olympic y ont fêté leur quatrième titre consécutif de champion national. C'est six de moins que les footballeurs bavarois, mais, comme eux, les Fribourgeois – qui n'ont perdu que deux matchs de toute la saison – sont devenus de véritables rouleaux compresseurs dans leur championnat. Au risque d'enlever à ce dernier tout intérêt, comme la lutte pour le sacre en Bundesliga?
«Si Fribourg domine aussi nettement que cette année pendant plusieurs saisons, alors oui, ce risque existe», tranche Xavier Paredes, président du BBC Nyon, quart de finaliste des play-off.
A Lugano, les craintes sont les mêmes. «Pour le public, ce championnat n'est pas intéressant», s'inquiète le boss des Tigers, Alessandro Cedraschi, également membre du conseil d'administration de Swiss Basketball. Cette saison, son équipe, dernière, n'a eu aucune chance contre Olympic.
Et les fans tessinois de les voir jouer, à en croire Alessandro Cedraschi: «On a davantage de spectateurs dans le derby contre Massagno que face à Fribourg, la grande équipe du championnat, ce qui n'est pas vraiment normal. Et dans le canton, les journaux accordent de moins en moins de place au basketball.»
Oui, un championnat joué d'avance a de quoi entraver fortement l'engouement autour, y compris celui des supporters dont l'équipe est trop facilement sacrée. Mais à Genève, sorti par Olympic en demi-finale et ex-grand rival dans un passé récent, on n'imagine pas une domination aussi écrasante des Fribourgeois lors des prochaines années. «Bien sûr que le titre est notre objectif la saison prochaine!», s'exclame au bout du fil Oggie Kapetanovic, qui succédera à Imad Fattal à la présidence des Lions en juillet.
Il en est certain, ses joueurs seront aptes à concurrencer ceux des bords de la Sarine. «La preuve: on a réussi à gagner un match contre eux en play-off. Et malgré tout, Genève a remporté deux trophées ces deux dernières années (réd: la Coupe de Suisse et la Coupe de la ligue en 2021)», rembobine le futur président, dont le club a le budget qui se rapproche le plus de celui d'Olympic, selon les chiffres avancés par les dirigeants (1,3 million pour la première équipe des Fribourgeois contre 1 million pour celle des Genevois).
De sa carrière de basketteur, Oggie Kapetanovic a indéniablement gardé le goût pour la compétition. Contrairement à d'autres présidents, abattus par une telle suprématie d'un concurrent, le prochain boss du Pommier voit cette dernière comme une opportunité. Un challenge. «C'est une bonne chose d’avoir une locomotive pour le basket suisse», se réjouit-il.
A Nyon, on pense pareil. «C'est positif pour l'image de ce sport en Suisse d'avoir une équipe forte en Coupe d'Europe, d'autant plus qu'Olympic a une philosophie de club intéressante, en plus de son niveau de basket», applaudit Xavier Paredes. «Cette domination n'est pas une frustration, mais une motivation», appuie Laurent Duchoud, le président du BBC Monthey.
Son homologue d'Union Neuchâtel, Andrea Siviero, a le même point de vue quand il évoque la comparaison avec Olympic: «Notre but est surtout de développer le club à l'interne, d'être meilleur de jour en jour.»
L'adversaire intouchable a donc cette vertu de pousser les autres à se sublimer. Forcément, le mécanisme a de quoi ravir la fédération. «Je vis très bien avec cette situation de domination du Fribourg Olympic», avoue Erik Lehmann, concédant toutefois que «c'est toujours mieux quand il y a une rivalité entre deux grosses équipes, comme dans le basketball espagnol avec Barcelone et le Real Madrid, par exemple.»
Pour le directeur technique de Swiss Basketball, il incombe aux concurrents des Fribourgeois de réussir à se mettre au niveau de ces derniers:
C'est finalement tout ce qu'ont réussi Phillipe de Gottrau et son staff à Fribourg. Le boss de Saint-Léonard a repris le club en 2013, alors au bord de la faillite.
Il a mis sur le banc l'entraîneur monténégrin Petar Aleksic – toujours en poste – dont les qualités de meneur d'hommes et techniques sont unanimement reconnues. «Et on a choisi des joueurs qui collaient bien avec les valeurs du club, que sont notamment l'identification et la modestie», complète Philippe de Gottrau.
Le président du Fribourg Olympic ne souhaite pas que son club devienne un Bayern Munich du basket suisse: «On veut avoir une concurrence, et on souhaite plutôt être un exemple pour tirer les autres vers le haut plutôt que de les écraser», (r)assure-t-il. Même au téléphone, son sourire est palpable:
Mais Philippe de Gottrau a le triomphe modeste. Il sait que la situation peut vite changer, surtout en basketball, où le turnover des joueurs et entraîneurs est très marqué, les contrats étant souvent paraphés d'année en année. Car l'argent ne permet pas d'acheter l'alchimie au sein d'un groupe. Le départ de Petar Aleksic, par exemple, aurait de quoi chambouler Olympic.
«On est toujours en discussion avec lui, mais il bénéficie d'une porte de sortie. Et franchement, ça me ferait plaisir pour lui qu'il puisse entraîner une grosse écurie en Europe», avoue le président fribourgeois.
Reste aussi à savoir si les joueurs voudront rester à Fribourg. Car même si le club fait envie, on a un peu moins faim quand on est rassasié. «Peut-être seront-ils tentés par un nouveau challenge?», interroge le Montheysan Laurent Duchoud, qui concède toutefois ne pas pouvoir s'offrir actuellement un Fribourgeois.
Dans le Chablais, mais aussi à Neuchâtel, Genève et Lugano, les dirigeants ne souhaitent pas la chute de l'ogre Olympic, mais veulent grandir pour le regarder dans les yeux. Ils sont conscients qu'ils n'y arriveront pas durablement tant qu'ils ne bénéficieront pas d'une salle exclusive pour le basketball, comme c'est le cas des Fribourgeois.
«Une salle confortable attire le public et permet d'avoir des recettes supplémentaires», argumente le Neuchâtelois Andrea Siviero. «On pourrait y organiser des événements pour le club, faire venir des sponsors et ajouter des panneaux publicitaires», souligne, dans la même idée, le Luganais Alessandro Cedraschi.
Dans sa ville, un nouveau complexe sportif de 3500 places avec des terrains de basketball et de volleyball devrait voir le jour d'ici trois ans et remplacer l'Istituto Elvetico, que les Tigres partagent avec d'autres pensionnaires.
Erik Lehmann explique que chaque semaine, il fait un déplacement à travers le pays pour un projet de nouvelle salle de basketball, et que la fédération épaule les clubs dans leurs discussions avec les communes et les cantons.
Suffisant pour peut-être voir couler de la bière ou du champagne sur d'autres parquets helvétiques que celui de Saint-Léonard ces prochaines années?