«Les gens m'ont insulté»: il fait payer pour voir du vélo
Depuis que le parcours du Tour de France 2026 est connu, deux étapes en particulier retiennent l'attention: celles qui s’achèveront à l’Alpe d’Huez, juste avant l’arrivée à Paris.
Le vendredi 19 juillet, les coureurs partis de Gap rejoindront la mythique station par les traditionnels 21 lacets. Ils l’atteindront à nouveau le lendemain, cette fois en franchissant le col de Sarenne. Les quatre derniers kilomètres reprendront le même tracé que la veille.
«J’avais très envie qu’on arrive par le col de Sarenne, mais on se disait qu’on ne pouvait pas aller à l’Alpe d’Huez sans passer par les 21 virages. Les gens ne le comprendraient pas. Le seul moyen était donc de le faire deux fois», a déclaré à l’AFP le directeur du Tour, Christian Prudhomme, pour justifier cette double venue sur les pentes où Coppi, Zoetemelk, Pantani et Armstrong ont écrit l’histoire.
La proposition de Pineau
Ce parcours inhabituel inspire l’ancien professionnel et dirigeant d’équipe Jérôme Pineau qui, dans le podcast Grand Plateau, a proposé de privatiser les derniers kilomètres dans les rues de l’Alpe d’Huez, quand bien même le cyclisme est «un sport populaire et gratuit».
Cet appel sonne comme un cri du désespoir, à l’heure où le modèle économique de la petite reine est à bout de souffle et où les équipes les plus modestes peinent à survivre financièrement. Pour preuve: les récentes disparitions des équipes Arkéa-B&B Hotels et Wagner-Bazin, la fusion Lotto-Intermarché, ainsi que les retraits annoncés du gouvernement flamand de l’équipe Flanders-Baloise et du sponsor principal de la formation TotalEnergies.
L’argent en cyclisme est concentré entre les mains de quelques grandes formations et surtout des principaux organisateurs, comme la société ASO, qui chapeaute le Tour de France, l'un des événements sportifs les plus regardés au monde. Droits TV, sponsoring et caravane publicitaire lui assurent des revenus considérables.
Or en proposant aux organisateurs de la Grande Boucle de faire payer les spectateurs pour assister au final des étapes de montagne, une approche contraire à l’ADN de la discipline, Pineau peut certes donner l’impression de vouloir enrichir davantage ASO, mais il souhaite surtout que cet argent soit ensuite redistribué aux équipes. L’homme parle en connaissance de cause: en 2022, son équipe B&B Hotels KTM a disparu, faute de moyens.
Le business des hospitalités
Sur le Tour, il existe déjà des espaces payants, accessibles non pas avec de simples billets, mais via des programmes d’hospitalité onéreux permettant de profiter du village départ, de la zone relais-étape le long du parcours, de l’espace arrivée ou de structures VIP surélevées situées à quelques hectomètres de la ligne.
De tels espaces existent aussi sur les classiques printanières. Chaque mois d’avril, le Vieux Quaremont – emprunté à plusieurs reprises par les coureurs du Tour des Flandres, une course organisée par Flanders Classics – voit ses champs recouverts d’immenses chapiteaux blancs dédiés aux notables et aux invités. Cette pratique gagne aussi Paris-Roubaix, autre course du giron ASO.
Il faut parfois déjà payer
Cependant, d’autres organisateurs, beaucoup plus modestes, demandent eux aussi aux spectateurs de sortir le portefeuille. Rien à voir avec une prestation premium. Il s’agit ici d’un simple ticket d’entrée, destiné à garantir la pérennité de l’événement, à l'heure où les pouvoirs publics se désengagent.
Cette pratique existe sur la Veneto Classic, une course qui conclut les ProSeries, le deuxième échelon mondial derrière le World Tour. L’épreuve a été remportée par Marc Hirschi en 2022. Le Suisse s’y sent bien, puisqu’il a également signé deux deuxièmes places sur les chemins de graviers et les côtes courtes mais raides de Vénétie.
La Veneto Classic est organisée par la société PP Sport Events, fondée par l’ancien coureur professionnel Filippo Pozzato, qui n’hésite pas à faire payer l’accès à la redoutable Tisa Strappo, escaladée à plusieurs reprises, malgré les vives critiques suscitées au départ.
Le dispositif fonctionne ainsi: «Nous avons commencé il y a quatre ans avec un billet à 10 euros, bière comprise. Depuis l’année dernière, nous proposons un billet à 10 euros sans bière, mais avec de nombreux services inclus. Dans la zone, nous avons des écrans géants, un DJ et un animateur pour faire participer le public».
Pozzato assure que 720 personnes ont accepté de régler la somme cette année, un chiffre en augmentation. Les retours seraient désormais excellents, les spectateurs étant éduqués à cette nouvelle norme. Il espère qu’à l’avenir, le nombre d’entrées atteindra le millier, et souhaite pouvoir augmenter à la fois le prix du ticket et la qualité de son service.
L’ancien cycliste explique néanmoins se heurter à un frein: celui d’un milieu réticent au changement. Sa proposition pour le Giro a ainsi été rejetée. Des propos qui font écho à ceux de David Lappartient, président de l’Union cycliste internationale (UCI), lequel a estimé mardi dans les colonnes de Ouest-France qu’il serait difficile de rendre les routes du Tour payantes. «On va toucher un débat national», a-t-il déclaré, avant d’ajouter: «Si vous voulez faire payer sur le Tour de France, vous n’êtes pas rendu».
Dans cette même interview, le dirigeant rappelle qu’à l’époque où il organisait le Grand Prix de Plumelec, il avait instauré un ticket à cinq euros pour accéder à la côte de Cadoudal, principale difficulté du parcours. Un moyen, selon lui, de sauver la course.
