L'«effet Odermatt» cause un souci aux fans de ski suisses
Comme presque chaque année, Max et ses amis se retrouvent un samedi de janvier à 8h00 à la gare de Lauterbrunnen (BE). Autrefois, ils achetaient leurs billets pour la descente du Lauberhorn le jour même, avant de monter à bord du train de la Jungfrau.
A l’époque, ils atteignaient la Wengernalp vers 9h30, pour se rendre ensuite sur le versant opposé du Hundschopf. C’était avant que le Covid ne prenne la société en otage. Bref, c'était il n'y a pas si longtemps, et pourtant, aujourd’hui, tout a changé.
Le boom du ski en Suisse a pris une ampleur inédite. A Adelboden, où se dérouleront le samedi 10 janvier un géant masculin et le lendemain un slalom, le samedi affichait complet vingt-quatre heures après l’ouverture de la billetterie. En une heure à peine, toutes les places en tribune étaient parties. Il ne reste actuellement que quelques billets pour le dimanche.
Pour les trois courses de Wengen, programmées une semaine plus tard, la vente a débuté lundi dernier à 8h00. Max était évidemment prêt. Inscrit sur la plateforme, il a attendu le signal. A 8h15, un message l’a informé qu’il occupait la position 7 343 sur la liste d’attente. Mais l’attente n'a pas été trop longue: une heure plus tard, il recevait la confirmation de son sésame.
Attente interminable et ruelles engorgées
La joie de Max est réelle, mais pas totale. Son dernier voyage à Wengen ne lui a pas laissé que de bons souvenirs. Tout avait commencé par le trajet: en raison de l’afflux massif de spectateurs, il avait fallu quatre heures et demie entre son arrivée à la gare de Lauterbrunnen et sa descente à la Wengernalp. Pour éviter cette attente interminable, il envisage cette fois de s’offrir, avec ses amis, un vol en hélicoptère à 190 francs par personne pour rejoindre la plus longue descente du circuit de la Coupe du monde.
Même après la victoire du héros local Marco Odermatt sur la mythique descente du Lauberhorn, la joie de Max face à ce «spectacle grandiose» avait été ternie. Après la marche jusqu’à Wengen, les ruelles du village de 1 116 habitants étaient engorgées comme jamais. «Autrefois, nous finissions la soirée à Wengen», raconte le fan de ski.
Andreas Mühlheim, directeur des courses du Lauberhorn, ne le nie pas. Les organisateurs ont compté 80 000 visiteurs sur les trois jours de compétition, un record. «On ne peut pas faire plus», déclare Mühlheim, même si la demande dépasse largement l’offre. Seulement 24 heures après l’ouverture des ventes, il informait:
Aucune possibilité d'agrandissement
Cette ruée sur les billets est impressionnante, mais il n’en a pas toujours été ainsi. Au milieu des années 1990, «l’entrée était gratuite pour remplir les gradins», se souvient Andreas Mühlheim. Une époque révolue. Aujourd’hui, Max paie 95 francs pour le billet le moins cher – trajet en train de la Jungfrau inclus. Le tarif grimpe jusqu’à 930 francs pour les billets VIP, donnant accès au Canadian Corner.
A titre de comparaison: à Adelboden, les prix vont de 70 à 790 francs pour la journée du samedi (épreuve principale), et de 50 à 470 francs pour le dimanche. Comme à Wengen, les organisateurs d’Adelboden, situé à 30 kilomètres à vol d’oiseau, atteignent les limites de leur capacité: 25 000 spectateurs le samedi, 15 000 le dimanche. «On ne peut pas faire plus», affirme le directeur général Christian Haueter.
Pourquoi pas plus? Haueter répond:
A Wengen aussi, la limite est atteinte avec 80 000 visiteurs sur trois jours. On pourrait pourtant objecter que la descente, longue de 4,5 kilomètres, offrirait encore de la place pour des spectateurs. Andreas Mühlheim répond lui aussi:
«Sans billet, il ne faut pas venir»
Mühlheim n’ignore pas les critiques formulées en janvier dernier sur les temps d’attente et la promiscuité. C’est pourquoi il évoque souvent le mot «planification». La difficulté à Wengen tient au fait que tout un chacun peut prendre le train jusqu’à la Kleine Scheidegg et se poster au bord de la piste, hors des zones officielles, sans billet. Le directeur des courses du Lauberhorn estime que ces spectateurs – appelons-les les «supporters libres» – représentent un quart à un tiers des 80 000 visiteurs.
«Nous faisons énormément d’efforts pour mieux canaliser les flux», explique-t-il. «Mais, en tant qu’organisateurs, nous n’avons aucun pouvoir dans l’espace public. Nous ne pouvons interdire à personne de monter à la Kleine Scheidegg sans billet pour la course. Mais pour la première fois, nous allons communiquer clairement: ceux qui n’ont pas de billet ne doivent pas venir à Wengen pendant le week-end des courses.»
Ni à Adelboden ni à Wengen, on ne vise le gigantisme. Les organisateurs cherchent plutôt à maintenir la qualité pour les spectateurs payants. Ils doivent en même temps trouver l’équilibre entre tradition et modernité – un exercice difficile, mais plutôt bien maîtrisé.
Enfin, ils entendent assumer leur responsabilité économique. Les finances des deux classiques du calendrier de la Coupe du monde sont stables, sans objectif de maximisation des profits.
A Adelboden (budget de 8 millions) comme à Wengen (plus de 10 millions), les organisateurs se satisfont d’un léger excédent – après déduction des réserves pour les futurs investissements –, ce qui a toujours été le cas ces dernières années.
Adaptation en français: Yoann Graber
