Vous avez senti qu'un truc bizarre se passait au FC Lucerne en voyant des vidéos ou les highlights de ses deux derniers matchs à la maison. Mais, manque de bol, vous n'avez pas compris ce que les banderoles des fans disaient parce que vous ne parlez pas le suisse-allemand. Pas de souci! On vous offre un petit cours de rattrapage, parce que c'est bel et bien la crise dans le club de Suisse centrale. On vous la résume en 5 points.
Sportivement, le FC Lucerne ne va pas mal: il est 7e de Super League, avec une confortable marge de 10 points sur la barre. Avec un budget estimé à 16 millions de francs suisses, il n'a pas de soucis économiques non plus. Non, la raison de la colère des fans lucernois a un seul nom. Propre: Bernhard Alpstaeg. Il s'agit de l'actionnaire majoritaire du club, qui détient 52% des actions.
Les supporters réclament son départ. Ils le lui ont fait savoir lors des matchs à domicile contre Saint-Gall et surtout Lugano, samedi dernier. Face aux Tessinois, ils ont déployé 52 banderoles dans tout le stade faisant comprendre plus ou moins poliment à l'entrepreneur qu'il devait faire ses valises. Une pétition sur internet nommée symboliquement «Zäme meh als 52%» («Ensemble, on est plus que 52%») a été signée par plus de 18 000 personnes.
Reste à savoir ce que les fans du FC Lucerne reprochent à Bernhard Alpstaeg, 77 ans. On vous rassure, c'est assez simple à comprendre. En 2007, l'entrepreneur, fondateur et chef de Swisspor (grosse entreprise de construction) obtient le mandat pour construire le nouveau stade. En même temps, il en achète les droits sur le nom et reçoit 26% des actions du club. Mais depuis, il en a acquis de nouvelles pour détenir aujourd'hui 52% du total et être, donc, l'actionnaire majoritaire.
Dans l'ombre sportivement jusqu'à maintenant, Alpstaeg veut un nouveau statut. Il a l'intention de devenir le président du FC Lucerne. A côté de ça, il veut remplacer entièrement le conseil d'administration et la direction du club. Il l'a ouvertement dit dans les médias. Officiellement, il reproche à ses collaborateurs la qualité insuffisante de leur travail. Dans le collimateur, il y a d'abord le président actuel, Stefan Wolf, et le directeur sportif, Remo Meyer. Alpstaeg n'y est pas allé de main morte au début du mois, dans le Sonntags-Blick:
Les supporters n'acceptent pas les velléités de l'actionnaire majoritaire. Même le club s'oppose officiellement à Alpstaeg, sur ses réseaux sociaux notamment. Un exemple: il a remplacé le nom «Swissporarena» pour parler du stade par l'ancien nom de l'enceinte, l'Allmend.
Bernhard Alpstaeg n'est donc pas satisfait de ses subalternes. Mais sa colère envers eux a vraisemblablement une autre cause. Flashback. L'été passé, le FC Lucerne réussit à conserver son joyau et capitaine Ardon Jashari (20 ans), néo-international suisse qui brigue une place pour le Mondial. Ces dernières années, Alpstaeg – en anticipant l'éclosion de la pépite – aurait aidé financièrement la famille du milieu de terrain. Au moment des négociations de prolongation, l'entrepreneur souhaite s'octroyer les droits d'image et de publicité de Jashari en lui faisant signer un contrat dans sa nouvelle société de conseil sportif (une démarche pourtant interdite pour un propriétaire de club).
Mais l'agent de Jashari, Agron Krasniqi, ne laisse pas faire. Alpstaeg est alors persuadé que Remo Meyer est de mèche avec Krasniqi. L'actionnaire majoritaire veut, du coup, virer son directeur sportif. Alpstaeg demande au conseil d'administration du club de le faire, mais celui-ci refuse. Depuis, l'agent de Jashari a reçu une interdiction de périmètre – venant d'Alpstaeg – dans et autour de la Swissporarena.
Si Alpstaeg veut désormais régner lui tout seul sur le FC Lucerne, il n'a pas exclu de nommer sa fille Giulia (30 ans) présidente. Il l'expliquait dans le Sonntags-Blick début octobre:
L'entrepreneur avait toutefois précisé: «Elle doit d'abord se familiariser avec Swisspor et nos 40 usines. Je lui fais confiance pour être présidente. Quand le FCL se sera stabilisé.»
Cette nomination suivrait une certaine logique. Parce que si Bernhard Alpstaeg s'est intéressé au football et au FC Lucerne, c'est grâce à sa fille. Depuis son adolescence, elle est une fidèle supportrice du club. Son père n'est, lui, venu qu'une seule fois dans l'ancienne enceinte de l'Allmend. Et c'était pour... contrôler ce que Giulia, alors âgée de 14 ans, faisait de son temps libre.
La prochaine assemble générale du FC Lucerne aura lieu jeudi prochain 3 novembre. Et vu le contexte, ça risque de chauffer. D'autant plus que c'est à ce moment-là que Bernhard Alpstaeg prévoit de destituer l'actuel conseil d'administration. Comme il possède la majorité des actions et que les co-actionnaires n'ont pas de droit de regard, il est libre de faire ce qu'il veut.
L'entrepreneur devra ensuite mettre en place un nouveau conseil d'administration lors d'une prochaine assemblée générale extraordinaire. C'est le conseil d'administration qui prend les décisions, officiellement, sur le personnel (notamment le choix du directeur sportif). Ce ne sera qu'une formalité pour Alpstaeg. D'ici là, d'autres banderoles hostiles à l'actionnaire majoritaire seront certainement brandies par les fans lucernois, notamment samedi à Zurich contre GC (18h00).