Il paraît qu'à Genève, on ne parle que de «ça». «Quand on ne râle pas contre le brouillard», admet une grande figure locale (étymologiquement, une grande gueule). Ça? Le match qui, dimanche à 16 h 30, oppose Lausanne, neuvième du classement, à Servette, sixième (😲). Le tout sous une vilaine bise et une sacrée cramine, dans les bien-nommées Plaines-du-Loup lausannoises, avec une pelouse en plastoc. Et on voudrait nous faire croire que «ça» sera le Brésil (🤪)?
Fondateur du site servettiens.ch, Sacha Roulin confirme: «Oui je sens une très grande agitation. Pourquoi? Je ne le sais pas. Mais dimanche, il y aura du spécial».
Les deux clubs confirment: il n'y a plus une place à vendre dans la tribune réservée aux Genevois, «dont beaucoup achètent maintenant des billets dans les secteurs proches», susurre Sacha Roulin. Le train spécial qui, au gré des trous perdus, acheminera la «cohorte genevoise» dans la cambrousse vaudoise, est bondé lui aussi. Les réseaux sociaux font le reste.
Hilare mais un rien contrit, Sacha Roulin promet un répertoire de «chants peu sympathiques»:
Toute cette poésie contemporaine ne nous dit toujours pas pourquoi le choc au sommet des alpettes entre LS et Servette, pourquoi ce match-là en particulier, suscite une sorte d'hystérie au bout du lac, entre les volutes de brouillard et de cigares.
Ca fait quoi de jouer à domicile mais d'être en infériorité? Le match des tribunes est déjà gagné par Servette
— Guizmo985 (@guizmo985) November 23, 2021
Pour faire la lumière, nous avons cru trouver un esprit éclairé en la personne de Laurent Ducret, journaliste spécialisé de football depuis plus de trente ans et biberonné aux comptines servettiennes depuis soixante. Pas de chance:
Sacha Roulin pense que cette liesse est due aux CFF: il est bien le premier à vanter les avantages de la ligne Lausanne-Genève (et vice-versa, si tout va bien): «Les supporters genevois retrouvent leurs trains spéciaux. Cette pratique est très courante en Suisse alémanique, où elle contribue à des déplacements massifs de supporters».
Vaud semble plus paisible. On envisage plus ou moins sagement que les grands museaux genevois pourraient prendre les poteaux de corner pour cure-dents, et que leurs gueules de bois, lundi matin, pourraient intéresser un sculpteur. Mais dans ses brumes sans pareil, le LS semble plutôt se préparer à un nouvel après-midi de fricasse, parcouru de frissons d'hiver, trois gelés et trois fondus, à trembler pour une passe qui n'arrive pas et tressaillir pour un rhume qui ne passe pas, à siffler des joueurs et des godets plus ou moins tiédasses, jusqu’à prendre l’arbitre en grippe (encore ce froid) et s'accrocher à cette sixième place, nom de bleu (la couleur de la peur et du LS).
Servette lui promet On avait cru comprendre pourtant que Lausanne n'était plus le méchant, que c'était Sion et sa société féodale d'horticulteurs lubriques (pour résumer les paroles). Laurent Ducret le croyait aussi: «Depuis une vingtaine d'années, l'autre grand club de Suisse romande, c'est Sion. Donc Sion est le vrai rival de Servette (🤔)».
Il est toujours aussi difficile d'obtenir une explication rationnelle à ces querelles du dimanche: «On sent bien que les Valaisans ''nous'' haïssent, surtout depuis que nous achetons des chalets à Verbier», s'essaie Laurent Ducret. Est-ce une raison de les traiter de paysans et de consanguins? Chacun est libre de juger. Dans le même registre, les Genevois ne pardonnent rien à la diaspora valaisanne du Servette FC. Je me souviens d'un joueur dont la voiture était aux couleurs du club et qui, à un feu rouge, quelques jours après un match raté, a entendu des passants lui lancer: «Si tu continues de jouer comme ça, retourne dans ton Valais.» C'est tout de même assez bizarre, cette animosité... (🤗)»
Le répertoire de chansons à la gloire du FC Sion n'est pas des moins sympathiques, lui aussi. Court extrait pour les plus de 18 ans:
Mais Laurent Ducret et Sacha Roulin sont d'accord sur un point: une rivalité sportive se mesure à l'accumulation de contentieux. Seule la façon de compter diffère. Ici, un vieux coup de coude de Widmar dans la figure de Barea (un mauvais point pour le FC Sion); là, un drapeau planté à la Praille par le gardien du LS, 1-1 et de quoi y passer le réveillon.
A l'heure du décompte final, comme on dit dans le jargon, Sacha Roulin ne doute absolument pas que le match de dimanche soit un événement,
«C'est Lausanne. On n'a rien contre lui, mais il y a une histoire, une proximité, le lac de Genève et une rivalité sportive ancestrale. On l'avait peut-être un peu oublié, ne me demandez pas pourquoi, mais cette semaine, à Genève, tout le monde ne parle que de ça, LE match à ne pas rater (😵💫)».
Question très sérieuse : est-ce qu'un seul train va nous suffir pour le déplacement à Lausanne ? #ServetteFC
— Parlons Servette (@ParlonsServette) November 24, 2021