Les images ont suscité étonnement, incompréhension voire colère: il y a neuf jours au stade de Suisse, plusieurs supporters du FC Sion ont détruit les toilettes du secteur visiteur en marge de la rencontre de championnat entre leur club et les Young Boys.
Pourquoi un tel acharnement? Quel intérêt y avait-il à détruire des équipements que les Valaisans étaient les seuls à utiliser? Souhaitaient-ils délivrer un message et si oui, lequel?
Ces questions ressurgissent après chaque dégradation commise par des supporters de football en déplacement, que ce soit sur le chemin du stade ou en tribune.
Des actes de violence gratuite qu'ont bien connu Terry Wilsher et Christian Python. Le premier a été responsable de la sécurité à NE Xamax pendant vingt ans et plus de 600 matches, le second a occupé le même poste durant neuf saisons au Servette FC. Quand on leur demande pourquoi les fans cassent, tous deux ont la même réaction: «Pour marquer leur territoire.»
«Le fait même de casser est un message. Dans les débris, on trouve d'ailleurs souvent des autocollants ou des messages d'insultes», commence M. Python. «Les fans veulent montrer qu'ils sont passés par là, ajoute M. Wilsher. Si vous observez bien, entre le stade de la Maladière et la gare de Neuchâtel, vous voyez souvent des graffitis ou des autocollants laissés par les supporters visiteurs.»
Il arrive que les motifs soient plus triviaux:
L'effet de groupe génère parfois deux sentiments redoutables qui se font écho: celui de toute-puissance et celui d'impunité. Entouré de plusieurs centaines d'individus, le fan se sent plus fort et plus anonyme. C'est comme s'il déléguait sa responsabilité individuelle au collectif. Un mécanisme que décrit très bien Thomas (prénom modifié). Ce supporter du FC Bâle est un garçon poli et réfléchi. Il y a quelques saisons pourtant, emporté par la foule partisane, il a fracassé un pavé contre un bus des transports publics bernois avant une partie contre YB. La vitre a éclaté sous la violence de l'impact.
Pour justifier son geste, il explique s'être trouvé «dans une ambiance de groupe. Ça venait de partout: les flics d'un côté, les fans adverses de l'autre. À ce moment, tu es en mode «démolition». Ton objectif, c'est de casser tout ce que tu trouves, que ce soit mobilier urbain ou adversaire. Alors tu prends ce qu'il y a sous la main. Le but, en fait, c'est de se défouler. Un peu comme dans un jeu vidéo.»
Il marque une pause, réfléchit et reprend:
Les auteurs des dégradations sont difficilement identifiables, car ils agissent principalement dans des lieux (toilettes, bus, rues adjacentes des stades) non surveillés.
Quand ils agissent dans la tribune même, ils prennent garde à se masquer le visage et à s'entourer d'un maximum de fans, de sorte à dissimuler leur entreprise destructrice. Le spectacle qu'ils laissent alors derrière eux est plus triste qu'une défaite. «C'est du vandalisme pur, simple et gratuit», se désole Terry Wilsher.
Parmi les questions qui surgissent à la lecture des images, il y en a une dont on n'a pas encore la réponse: comment les supporters s'y prennent-ils pour casser? On imagine qu'il suffit de donner de grands coups de pied pour briser un siège en plastique, mais un lavabo? Des WC? «J'avoue que je n'ai pas beaucoup d'expérience dans le domaine, car je n'ai jamais essayé, se marre l'ancien chef de la sécu à Neuchâtel. Peut-être qu'ils arrachent la lunette des toilettes et l'utilisent comme outil. Ou alors ils amènent leurs marteaux. Quand on voit la quantité d'engins pyrotechniques qu'ils arrivent à faire entrer malgré les fouilles...»
Pour les avoir côtoyés de près pendant longtemps, Christian Python sait que les supporters ont une imagination «débordante», au sens propre du terme. «Ils peuvent tout à fait aller dans une armoire à incendie prendre un extincteur et fracasser les toilettes. Un jour, les Bâlois se sont saisis de la lance à incendie, ont ouvert la vanne et arrosé la police. C'était extraordinaire (ndlr: il en rit aujourd'hui). Ce sont des vieux routiniers, ils connaissent les combines.»
Un supporter romand nous dit avoir déjà vu «un fan de 120 kg», moins imaginatif, «sauter à pied joint sur un lavabo du Wankdorf, dans l'espoir de le briser». Il n'y est toutefois pas parvenu: «la structure s'était simplement fendue en deux.»
Quand ils éclatent, WC et lavabos peuvent ensuite servir de munitions et blesser gravement public et joueurs. Il y a quatre ans à Paris, les supporters de Marseille s'étaient d'ailleurs servis des débris des toilettes comme projectiles hyper coupants, heureusement sans faire de dégâts humains.
À Berne, il y a neuf jours, les visiteurs valaisans n'ont pas utilisé la faïence pour blesser. Mais ils auraient pu.
En découvrant cette image, Terry Wilsher ne masque pas sa surprise: «Je suis étonné que l'un des plus grands et des plus modernes stade du pays soit encore pourvu de toilettes en faïence. Il faudrait des lavabos et WC en inox et sans couvercle.» Christian Python est du même avis: «Je crois d'ailleurs que c'est ce qui a été choisi au Stade de Genève.»
Les infrastructures doivent évoluer avec les mentalités, «même si c'est triste d'en arriver là», songe Terry Wilsher, qui a intégré le staff de NE Xamax dans les années 80, à une époque où les experts en démolition en faisaient leur métier. «Il y avait des Securitas à képi qui arrachaient les billets aux entrées. Les spectateurs allaient chercher leur topette de blanc, et tout allait bien.»
Un virage s'est amorcé au début des années 1990. «Ça a commencé avec les Bâlois, rembobine le Neuchâtelois. On a dû mettre en place un vrai service de sécurité privé. Des bagarres éclataient sur l'Avenue du 1er mars, mais il s'agissait d'affrontements physiques. Les dégâts matériels sont venus un peu plus tard.»
Saccager des équipements qu'ils sont les seuls à utiliser peut sembler ridicule, voire étrange vu de l'extérieur, «mais c'est rien moins que le plaisir de casser», songe M. Python. Il suspecte des pratiques adolescentes: «Prenez les abris de bus en verre: combien d'entre eux sont cassés chaque jour?»
Une scène lui revient en mémoire. Elle dit selon lui beaucoup du comportement de certains jeunes. Il raconte: «Un jour, alors que je sors du Tribunal des mineurs à Genève, j'aperçois un garçon avec sa mère. Le jeune est tellement fâché, sans doute en raison de la sanction qui a été prononcée contre lui, qu'en arrivant à l'arrêt de bus, il flanque un grand coup de pied dans l'abri, brisant la vitre. C'est la rage. C'est triste, mais c'est ainsi.»
En football, la rage a d'autres visages mais la même force. Quand elle s'exprime collectivement et sous couvert d'anonymat, rien ne lui résiste.