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Suisse: Catherine Chatelain a passé 40 jours seule en montagne

Catherine Chatelain a vécu 40 jours en montagne au printemps dernier.
Catherine Chatelain a vécu 40 jours en montagne au printemps dernier.
Interview

Cette Romande a passé 40 jours seule en montagne et est revenue transformée

La Genevoise Catherine Chatelain (46 ans) a entamé un cycle de conférences en Suisse romande. Elle raconte au public les doutes nés de son aventure, mais aussi la force qu'elle a extraite des montagnes.
11.04.2022, 18:4915.04.2022, 08:20
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Catherine Chatelain a vécu 40 jours en montagne au printemps 2021, marchant des Grisons au Valais à une altitude moyenne de 2000 mètres. Elle a emporté pour seuls bagages un sac à dos, une tente et une volonté à toute épreuve. Un an après, elle revient sur ses pas pour raconter au public ce voyage qui a nourri son âme et modifié son approche de la vie.

Catherine Chatelain, dites-nous: qu'est-ce qu'on entend, la nuit dans la montagne?
Les cours d'eau, le vent sur la tente ou dans les arbres, sa propre respiration. Et sinon, à peu près rien.

Le rien, c'est beau à écouter?
Ah oui alors! (son visage s'éclaire).

Pourquoi ce choix de partir 40 jours seule en montagne?
J'étais en recherche de moi-même. Je me demandais également: «Si je fais confiance à mon intuition, est-ce que ça marche?» Je voulais aussi passer un moment fort et profond en connexion avec la nature: dormir à même le sol, boire l'eau des ruisseaux.

Vous dites avoir été en recherche de vous-même. Vous êtes-vous trouvée? Et qu'avez-vous découvert?
Oui, mais il n'y a pas vraiment de mots pour l'expliquer. C'est comme si quelque chose s'était reconnecté à l'intérieur de moi. Un an après, je vois à quel point ce voyage a changé ma manière d'appréhender mon quotidien, de prendre des décisions, simplement d'aller chaque jour de l'avant.

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«J'ai découvert que j'avais beaucoup plus d'appréhension que ce que j'imaginais, de craintes que l'on reporte parfois sur les autres quand on est plusieurs»

Vous évoquez vos fragilités. Mais on imagine que vous avez aussi découvert des forces insoupçonnées aussi, non?
C'est vrai. J'ai remarqué que si je prenais le temps d'écouter ce que j'avais à l'intérieur de moi plutôt que d'essayer de le fuir, la peur se dissipait d'elle-même et la confiance revenait naturellement, sans rien faire. J'ai expérimenté ce phénomène en ayant peur de ne pas avoir assez à manger durant mon aventure. Une de mes forces, nouvelle, a été d'accepter cette crainte, de lui faire une place pour la digérer, en quelque sorte.

Votre périple entre le val Müstair et le Valais, en passant par le Tessin, a duré 40 jours. Pourquoi le choix d'une telle durée?
Parce que 40 jours, c'est un chiffre fort. C'est le temps qu'il faut à son corps pour se renouveler, ce qui permet de vivre une expérience intense jusqu'au bout.

Quarante jours, c'est aussi le temps passé par Jésus dans le désert.
Oui, mais la religion n'est pas entrée en ligne de compte dans mon projet. Je préfère parler d'aventure spirituelle.

Au marathon, il existe le fameux mur du 30e km, celui à partir duquel tout devient plus compliqué. Avez-vous eu l'impression de franchir un mur vous aussi durant votre cheminement? Et à quel moment?
Oui, clairement quand je suis passée des Grisons au Tessin, entre le 25e et le 30e jour environ. Je voyais toute cette neige, je me disais: «Je vais aller à Lugano, là où il fait chaud, je vais quitter cette montagne hostile et tant pis si je ne marche pas jusqu'en Valais».

La Greina: un plateau sauvage qui relie les Grisons au Tessin.
La Greina: un plateau sauvage qui relie les Grisons au Tessin.

Pourtant vous n'avez pas abandonné?
C'est vrai, j'ai répondu à un appel, celui de la montagne. J'observais au loin les cols élevés, les vallées isolées. Je me suis dit que ma place était dans le sauvage. Mon itinéraire, je l'ai toujours choisi en fonction des conditions, mais aussi de la densité de population: je voulais des espaces les plus vierges possibles.

On imagine que vous avez pourtant croisé des personnes.
Oui, je croisais quelqu'un en moyenne tous les deux jours.

Y a-t-il des choses qui, chez l'humain, vous ont manqué?
Oui mais ces deux choses-là me sont tombées dessus par hasard.

Racontez-nous!
En franchissant un col dans les Grisons, j'ai croisé par hasard un cycliste. On a échangé un sourire, puis je me suis arrêtée pour manger. L'homme a fait demi-tour et m'a rejoint pour partager la fin de mon repas. On a parlé un peu et, avant de partir, il m'a pris dans ses bras. Je me suis dit: «Ah ouais, ça fait du bien!» Il n'y avait pas la moindre notion de séduction, simplement un peu de chaleur humaine partagée. Etre proche de quelqu'un, avoir un peu d'affection, ça m'a parfois manqué mais c'est arrivé.

Le quotidien solitaire de Catherine Chatelain.
Le quotidien solitaire de Catherine Chatelain.

Et l'autre épisode qui vous est «tombé dessus par hasard»?
Me sentir soutenue, accompagnée ou comprise dans ce que je faisais m'a parfois manqué. Mais c'est arrivé avec une femme rencontrée au Tessin. Elle m'a regardé dans mes yeux, m'a souri puis on a marché ensemble en silence. Elle m'a ensuite invitée chez elle pour m'offrir des fruits à manger, soit exactement ce dont j'avais besoin. On a discuté pendant près de deux heures. A son contact, j'ai senti que je n'étais peut-être pas un être totalement bizarre, que d'autres pouvaient comprendre ma démarche sans que j'aie besoin de la formuler.

Est-ce qu'au fil des jours, certains sens se développent, voire se révèlent, plus que d'autres?
Oui. Mon odorat s'est beaucoup développé. J'ai senti la pluie, les buissons humides, les cailloux chauds. Toutes les odeurs, sauf celles de mes chaussettes!

Vos rêves en montagne étaient-ils différents de ceux que vous aviez l'habitude de faire chez vous, aux Paccots (FR)?
Pas forcément, non. Mais je m'endormais très facilement et avec une grande paix intérieure. J'étais heureuse d'être là.

Combien d'heures marchiez-vous chaque jour?
Entre 1h et 8h. Il m'est arrivé, dans le val Verzasca (TI) par exemple, où il faisait beau et chaud, d'alterner baignade et bain de soleil toute la journée. D'autres fois, j'étais réveillée à 5h du matin et je marchais quasiment toute la journée. Je fonctionnais aux envies et au ressenti.

La toilette

Catherine Chatelain se lavait en prenant des bains dans les ruisseaux, où en frottant son visage et ses mains avec de l'eau fraîche. Elle allait aux toilettes dans la nature, prenant soin de s'essuyer avec de l'eau plutôt qu'avec du papier toilette, de sorte à ne laisser aucun déchet. L'assiette qu'elle a emmenée avec elle pour manger, elle l'essuyait simplement chaque soir avec un petit papier. Ses habits, enfin, elle les a lavés deux fois, les deux seules fois où elle a dormi dans une chambre d'hôtel pour éviter une pluie battante et continue.
Dans le val Bedretto (TI), juste avant le passage du Nüfenen qui mène en Valais.
Dans le val Bedretto (TI), juste avant le passage du Nüfenen qui mène en Valais.

Vous est-il arrivé de vous ennuyer?
Euh...(elle réfléchit). Ben non, en fait. Quand je ne voulais plus marcher et que je n'avais aucune affaire à ranger dans mon sac, je m'allongeais simplement en regardant le ciel. J'écoutais parfois un peu de musique sur mon téléphone, des mantras et de la méditation.

Le genre de paysage qui invite à la méditation.
Le genre de paysage qui invite à la méditation.

Votre téléphone vous servait-il aussi à appeler des amis?
Je l'utilisais principalement pour prendre des photos et me situer géographiquement. J'ai toutefois effectué deux ou trois appels, dont l'un pour ma mère, à un moment où j'en ai ressenti le besoin.

A quel moment exactement et pourquoi?
Je venais de passer deux jours complètement seule. Il n'y avait pas la moindre trace dans la neige. J'allais entrer au Tessin mais la quantité de neige était impressionnante et, surtout, rendait l'itinéraire dangereux. Je me suis dit que ce serait vraiment con de tomber là et de mourir. J'ai senti un attachement très fort à la vie, autant qu'à ma mère. J'ai beaucoup pensé à elle et je me suis fait la promesse de ne pas disparaître ici.

Vous l'avez appelée ensuite?
Oui, une fois que j'étais tirée d'affaire et que j'étais au chaud. Je l'ai appelée, non pas pour lui raconter ce que j'avais vécu, mais simplement pour l'entendre et lui dire que je l'aimais.

Vous avez vu tant de montagnes différentes pendant des jours et des jours. Dans le fond, qu'est-ce qui différencie une montagne d'une autre?
Son énergie. J'ai l'impression que les montagnes dégagent toutes quelque chose de différent. Un peu comme les humains. On a tous deux yeux, un nez et une bouche, mais on ne se ressemble jamais totalement. Surtout, on fait naître chez l'autre des émotions différentes. J'ai lu récemment une citation qui m'a beaucoup touchée. Elle disait ceci:

«Les paysages étaient comme un archet qui jouait sur mon âme»
Stendhal

Vous êtes accompagnatrice en montagne. Quand on a vécu 40 jours seule en altitude, ne devient-on pas un peu égoïste? A-t-on encore envie de les partager, ces montagnes que l'on trouve si belles?
Oui, et même encore plus qu'avant. Certains de mes clients marchent parfois très lentement ou n'ont pas envie de sortir sous la pluie et c'est tout à fait compréhensible. Quand ça arrivait par le passé, je me disais toujours: «Si j'étais seule, j'y serais allée, ça m'aurait fait trop plaisir». Mais après 40 jours en montagne, on a vécu tous les plaisirs qu'on espérait. C'est beaucoup plus facile d'être à l'écoute des autres.

Vous avez entamé un cycle de conférences le 13 mars. Pourquoi ce besoin de raconter?
Ce n'était pas mon idée au départ. Mais une amie à qui j'ai témoigné de mon aventure m'a dit: «C'est incroyable ce que tu as vécu, il faut absolument le raconter!» Je pensais que ça ne servait à rien, parce que je l'avais fait pour moi, mais elle m'a convaincue en me disant que ça pouvait inspirer d'autres personnes, leur donner l'espoir qu'un jour ils le feront eux-mêmes. Tout est parti de là.

Agenda

Ses prochaines conférences
➡️ Vendredi 22 avril à 20h: Grand Saconnex, Genève
➡️ Samedi 7 mai à 19h30 – La Sarraz – Organisé en collaboration avec Au Pas’Sage – Entrée 20.- (enfant 5.-)
➡️ Mardi 10 mai à 19h30 – Vevey – Organisé en collaboration avec le Club Alpin Suisse – Jaman
➡️ Jeudi 19 mai à 20h – St-Genis (France, à proximité de Genève) – Organisé en collaboration avec l’association Au Bout du Monde ABM Léman

Quelle question revient le plus souvent lors de vos prises de parole?
Les femmes me demandent souvent si je n'ai pas eu peur la nuit.

Votre réponse?
Non, je n'ai pas eu peur, étant dans des endroits isolés. Et les rares fois où j'ai vu au loin un chalet d'alpage habité, j'ai pris mon courage à deux mains et je suis allée m'annoncer, histoire aussi de savoir qui vivait là. Et j'ai toujours été récompensée de ma démarche. J'ai rencontré des gens chaleureux et accueillants. On m'a même proposé de dormir à l'intérieur et de manger du risotto!

Quel conseil donneriez-vous aux gens qui veulent marcher quelques jours en autonomie dans les montagnes?
Je leur dirais de ne pas se fixer un but ou un itinéraire précis, mais d'adapter son périple en fonction de la fatigue, des conditions et de ce qui, tout à coup, les inspire.

Dites-nous enfin: quand on fait 40 jours de marche en montagne et qu'on rentre chez soi, que fait-on le 41e jour?
On va aux bains de Lavey! (elle éclate de rire).

Vous avez pris toutes les douches de 40 jours d'un coup!
Exactement! J'en ai profité pour me relaxer et retrouver un peu de chaleur.

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