Le coup de sang de Medvedev cache une règle du tennis qui pose problème
Une scène rare a eu lieu mardi au tournoi ATP 500 de Pékin. Alors que Daniil Medvedev est mené au début du troisième set de sa demi-finale contre Learner Tien, le Russe laisse étrangement passer un service – bien placé, mais pas très puissant – de son adversaire, sans réagir. Un ace gratuit.
La raison de cette apathie? Medvedev a des crampes. Après avoir concédé cet ace, il s'en va rejoindre l'autre côté du terrain pour le prochain point, tout lentement, en boitant très bas. C'est alors que l'arbitre annonce en anglais:
La séquence en vidéo
L'ancien numéro 1 mondial vient de se prendre un avertissement (sans aucune conséquence sur le score) parce qu'il a donc violé la règle «best efforts». Ce point méconnu du règlement de l'ATP, qui se traduit littéralement par «meilleurs efforts», oblige chaque tennisman à «faire de son mieux» lors de chaque match. Autrement dit: il sanctionne la non-combativité.
L'arbitre de chaise, Adel Nour, a ainsi estimé que Medvedev n'avait pas fait preuve de suffisamment d'efforts pour retourner le service de Tien. Autant dire que cette interprétation n'a pas du tout plus au volcanique Russe, qui a immédiatement appelé le superviseur sur le terrain et est allé vers l'arbitre pour défendre sa cause. Il a lancé, furax, à ce dernier:
L'officiel égyptien a argumenté: «Je sais que tu ne te sens pas bien, mais il n'y a aucun mouvement. Tu dois montrer que tu peux jouer».
Des paroles qui ont sonné creux chez le vainqueur de l'US Open 2021, qui a abandonné les palabres puis le match quelques minutes plus tard (il a quand même essayé de jouer, mais a abdiqué à 0-4). Plus tard, à la surprise générale, plusieurs médias ont informé que l'ATP a retiré cet avertissement à Medvedev. «Après avoir examiné l'incident (...), l'équipe d'arbitrage de l'ATP a déterminé que la violation du code de conduite relative aux "best efforts" avait été infligée par erreur», a expliqué l'instance, tout en précisant qu'«aucune amende ne sera appliquée».
Car oui, les tennismen peuvent, selon les circonstances, se prendre de sacrées prunes après un avertissement pour non-combativité. Leurs montants varient selon la catégorie du tournoi. Dans le cas d'un ATP 500 comme à Pékin, ça peut aller jusqu'à 40 000 dollars. Et elle peut doubler à chaque récidive la même année.
Si ces sommes n'ont pas de quoi inquiéter les superstars millionnaires du tennis comme Medvedev, elles peuvent bousiller la carrière d'un joueur hors du top 100, qui peine déjà à joindre les deux bouts...
Subjectivité, limites floues et choix tactique
Mais au-delà, de l'aspect financier, cette règle pose plusieurs questions. L'une est soulevée par Medvedev quand il tonne vers l'arbitre «Je fais de mon mieux. Tu es qui pour décider pour moi?». Indirectement, le Russe pointe du doigt le côté extrêmement subjectif de ce point de règlement. D'un point de vue extérieur, il est très difficile d'évaluer si un tennisman se donne à fond ou non. On ne connaît pas toutes les aptitudes du joueur, ni son état de forme sur le moment. S'il est blessé, les exigences en termes de performance ont de quoi être revues à la baisse.
Et où est la limite de l'effort et du non-effort? Sur quels critères l'arbitre peut-il baser son jugement? Est-ce qu'un tennisman manque de combativité s'il met un coup droit dans le filet parce qu'il n'a pas suffisamment plié ses genoux pour remonter la balle?
On est d'accord: souvent, les cas de non-combativité sont beaucoup plus flagrants que ce dernier exemple, avec des joueurs qui traînent les pieds sur le terrain pendant les échanges ou font exprès de frapper la balle n'importe comment pour perdre plusieurs points consécutifs et en finir avec ce match le plus vite possible. Les fantasques Nick Kyrgios et Benoît Paire ont par exemple été sanctionnés pour pareils comportements.
Mais même quand le désengagement est aussi évident, la règle de non-combativité reste délicate à interpréter. Un joueur peut délibérément relâcher ses efforts sur certains points, voire des jeux entiers, pour économiser son énergie pour la suite du match, par exemple. Ça ne veut donc pas dire qu'il a renoncé au combat, bien au contraire!
C'est d'ailleurs ce que laissait entendre Nick Kyrgios au tournoi de Shanghaï en 2018. Alors que l'Australien n'esquissait aucun mouvement pour retourner le service de son adversaire, qui concluait ainsi le jeu par un ace, l'arbitre le mettait verbalement en garde contre un possible avertissement: «Sur le dernier point, tu es à la limite». La réponse du natif de Canberra, vexé comme Medvedev ce mardi?
Kyrgios remportait le jeu suivant en claquant quatre aces et, avec son insolence légendaire, demandait après chacun d'eux à l'arbitre: «C'est à la limite, ça?»
La scène en vidéo
Et même sans que ce soit de manière délibérée, un tennisman a le droit d'avoir des défaillances – notamment psychologiques et physiques – pendant la partie et, par conséquent, lever un peu le pied. De nombreux exemples l'ont prouvé: il n'est pas nécessaire de se battre comme un acharné sur tous les points pour remporter un match de tennis.
La règle de non-combativité en devient d'autant plus complexe à appliquer. Peut-être que l'ATP devrait tout simplement songer à la supprimer, même si elle vise à assurer le spectacle pour le public (qui est l'essence du sport professionnel). Car, de toute manière, un tennisman qui fait preuve de non-combativité durant tout un match perdra forcément celui-ci. Et il se ridiculisera aux yeux des spectateurs, qui ne manqueront pas de le huer.
Ces auto-sanctions semblent déjà suffire – les violations de la règle «best efforts» restent très rares –, sans devoir ajouter un règlement. Qui plus est difficile à appliquer et qui oblige l'ATP, comme dans le cas de Medvedev, à opérer des volte-faces préjudiciables à sa crédibilité.
