Il y avait l'idée que cette fois, peut-être, ce serait différent. Que le monde woke en ferait un cas d'espèce, peut-être un pataquès. C'était juste une illusion: les paralympiques de Tokyo passent totalement inaperçus.
Entre autres questions embrassantes, la première consiste à savoir si cet événement est mal vendu ou, au contraire, si nous sommes des consommateurs monomaniaques, infichus de nous engouer pour des athlètes qui, sans oser l'avouer, nous ressemblent si peu.
Nous avons posé la question à Gérald Métroz. Outre une liberté de ton rare, cet autodidacte présente l'avantage d'avoir occupé des positions en vue dans les deux mondes; champion de tennis en fauteuil roulant, agent de sportifs célèbres.
Les Jeux olympiques ont battu des records d’audience. Pourquoi les paralympiques ont-ils un écho aussi faible?
La clé, c'est l'identification à l’athlète. Il faut dire la vérité: un enfant rêve de devenir Roger Federer ou Stan Wawrinka, pas le champion suisse de tennis en fauteuil roulant. Nous sommes une toute petite minorité. Nous représentons peut-être 1% de la population mondiale. Pourquoi les gens voudraient-ils nous ressembler? Pourquoi voudraient-ils imiter des personnes comme nous? L’identification est impossible.
Il est tout aussi difficile de ressembler à Federer, encore plus de l’imiter.
Selon moi, on peut se prendre pour Federer quand on tape des balles le dimanche matin. Il suffit d’un peu d'imagination et d’ego. A l’inverse, personne ne rêve d'un gars en fauteuil roulant.
Devrions-nous culpabiliser, tout de même, de ne pas regarder les paralympiques?
Mais bien sûr que non! Avec les paralympiques, nous parlons de disciplines inconnues du grand public, pratiquées par une poignée de gens dans le monde. Il n’y a pas la masse, pas de base populaire, et ça ne changera jamais. Il n’y a personne à imiter, pas de modèles. Le tennis de l’ATP et celui que je joue, dans les faits, ne sont pas du tout les mêmes sports. Le mien restera toujours confidentiel et c'est parfaitement logique.
Mais vous, qui étaient vos idoles?
J’ai grandi avec McEnroe, Borg, Wilander, mais je me suis identifié au meilleur joueur du monde en fauteuil roulant.
En tant que média, avons-nous néanmoins un devoir, une responsabilité civique à couvrir les paralympiques?
Si vous êtes très riche et que vos audiences ne sont pas votre préoccupation majeure, pourquoi pas? Regardons les choses en face: 90% des gens qui écrivent à la presse pour se plaindre du traitement des paralympiques n’ont jamais mis les pieds dans une compétition de ce genre.
Comment en êtes-vous si sûr?
Je peux en témoigner. Chaque année, au mois d'août, il y a un grand tournoi de tennis au Bois-des-Frères, dans la région de Genève. C’est un tournoi majeur, l’un des dix meilleurs au monde. Le jour de la finale, il y a entre 100 et 200 spectateurs au bord du court. Souvent les participants et les familles.
Pour vous, ces interpellations en faveur des paralympiques sont-elles des postures idéologiques?
Je les comparerais aux gens qui, pendant des années, quand j’étais agent de hockey, répétaient qu’il n’y ait pas assez de juniors en première équipe de Genève-Servette. Pour autant, ces personnes n’allaient jamais voir un match de juniors. C’était gratuit et à des heures faciles: rien de plus simple. Mais ils n’y allaient pas. Ils réclamaient plus de juniors sans leur prêter le moindre intérêt.
Je peux vous garantir qu’entre nous, les sportifs handicapés, on n’en a rien à secouer du courage. On n’en parle jamais. On est là pour gagner, c'est tout. Aux Jeux d’Atlanta, sur les quelque 10 000 athlètes que nous étions, je n’en ai jamais entendu un seul lâcher à table: «P…, les gars, qu’est-ce qu’on est courageux!» Nos sujets de conversation sont les mêmes que ceux des athlètes lambdas: à quelle heure est ta compétition? Comment tu te sens?
Votre discours n'est pas très militant.
Croyez-moi, aucun de nous ne fait du sport pour être courageux! On s’en fiche pas mal. Parce que dans ce cas-là, l’amateur qui grimpe à Evolène le dimanche matin à vélo est très courageux, lui aussi. Ce n’est pas pour autant que nous devrions le filmer et lui donner une médaille.
Une partie du grand public pense néanmoins que vous «mériteriez» plus d’attention.
Je me passerais volontiers de la fausse compassion des bien-pensants. Il y a trois semaines, une personne à la gare est venue me dire que j’étais bien courageux de prendre le train. Moi qui ai voyagé partout dans le monde...
Les paralympiques peuvent-ils tout de même trouver leur public?
Je les comparerais à des sports comme l'heptathlon où il y a très peu de licenciés, et pas davantage de modèles.
Et vous, suivez-vous les paralympiques?
La première semaine, j’ai presque tout regardé, puis je suis parti en vacances. Même à mon niveau d’information, je serais incapable de vous citer un seul nom connu en dehors de quelques Suisses. En revanche, j’ai pu voir que le niveau d'ensemble avait considérablement augmenté.
Grâce au professionnalisme?
Oui, tout est devenu très pro. Des programmes étatiques et des entreprises comme Once, en Espagne, ont apporté beaucoup d’argent. Ou alors les athlètes apprennent la débrouille, comme dans n’importe quel sport mineur. Moi, à partir du moment où je suis entré dans le top 100, j’ai voyagé sur les compétitions tous frais payés, j’ai reçu gratuitement des fauteuils de mon équipementier, un par année, et ce n’est pas rien.
Les sponsors manifestent-ils davantage d’intérêt pour les paralympiques?
Il y en a peu, forcément.
Sans surprise, les sponsors des paralympiques sont souvent des fabricants de fauteuils roulants ou d'équipements divers. Il y en a d’autres comme Coca-Cola qui, en vertu de leur partenariat global avec le CIO, injectent des millions. C’est cool! Mais ces firmes-là y vont à pas mesurés, voire calculés. Et c’est totalement normal.
Pour un sport que vous considérez comme mineur, les JO pourraient paraître disproportionnés.
C'est l’avantage que nous tirons de la défense des minorités. En nous offrant cette visibilité, le CIO contribue énormément à la reconnaissance du statut de sportif (je n’ai pas dit personne) handicapé. Maintenant, nous devons évoluer car nos règlements sont du chinois. Il est difficile d’expliquer au grand public qu’il y a 22 médaillés en crawl, surtout avec une minute d'antenne. Avant de nous plaindre d’un manque d’intérêt (mais je le répète, ce n’est pas la réalité que je vis), il faut commencer par rendre les paralympiques accessibles et clairs.