Il n'y a pas eu de surprise pour la Suisse lors de la demi-finale du relais féminin 4x400m, vendredi matin au Stade de France. Le quatuor helvétique a échoué à se qualifier pour la finale en terminant 7e de sa course en 3'29''75. Parmi les quatre Suissesses engagées sur la distance, c'est Yasmin Giger qui a couru en dernière position, avec une petite particularité, puisque l'athlète de Suisse orientale arborait un chignon.
Ce n'est évidemment pas cela qui a éliminé la Suisse en demi-finale des Jeux olympiques, et d'ailleurs Yasmin Giger n'a pas moins bien couru que ses coéquipières. Il n'empêche qu'on est toujours surpris de constater que beaucoup d'athlètes négligent un «détail» qui n'en est pas un dans le sport de haut niveau: l'aérodynamisme.
Chercheur en science du sport, Fred Grappe s'était fait la même réflexion l'année dernier en observant la performance de Shericka Jackson sur 200m aux Mondiaux de Budapest. La Jamaïcaine avait certes réalisé un authentique exploit (titre mondial et 2e meilleur chrono de l'histoire en 21''41), elle avait elle aussi couru avec un chignon qui, forcément, avait freiné (même de manière minime) sa progression dans l'air.
Sans le chignon, Shericka Jackson qui a couru à 33.62 km/h de moyenne sur 200 m (21.41 sec), avait de fortes probabilités de battre le record du monde en gagnant plus de 7/100ème. Très étonnant la banalisation de l’aéro en athlétisme !! pic.twitter.com/AlGgFxRA2n
— Fred Grappe (@fredgrappe) August 25, 2023
Pour comprendre la remarque de Fred Grappe, il faut se rappeler que le Français travaille comme directeur de la performance au sein de l'équipe cycliste Groupama-FDJ, dans un sport qui traque les moindres détails en soufflerie pour permettre aux coureurs d'avoir une meilleure pénétration dans l'air. Les casques, notamment, sont confectionnés par des ingénieurs en aérodynamisme. A ce niveau de précision, on peut imaginer que la présence d'un chignon dans une finale des Championnats du monde ou lors des Jeux olympiques a de quoi perturber.
Fred Grappe n'est d'ailleurs pas le seul professionnel du vélo à trouver cette protubérance incongrue. Septuple champion du monde de cyclisme sur piste, François Pervis avait lui aussi réagi sur les réseaux sociaux l'an dernier:
En athlétisme, «les vêtements commencent seulement à être un minimum efficaces en aéro», avait ajouté l'ex-cycliste belge Philippe Gilbert, champion du monde sur route, vainqueur de Paris-Roubaix et du Tour des Flandres notamment. «Je suis toujours surpris de revoir des images pas toujours si veilles que ça, où des athlètes courent avec des vêtements de taille +++, où le t-shirt flotte et le dossard n'est pas scotché ni épinglé.»
Une négligence qui avait fait sourire Fabrice. En bon fan de F1, cet internaute est lui aussi attentif aux aspects aérodynamiques, d'où cette question:
La question se pose cette année encore aux Jeux olympiques de Paris, où les athlètes arborent parfois des coiffures volumineuses et/ou proéminentes dans des épreuves qui pourtant nécessitent un maximum de vitesse.
Il paraît évident qu'un sportif plus léger, ne serait-ce que de quelques centaines de grammes, aura de meilleures chances de gratter les centièmes qui le séparent d'une potentielle médaille. Kenny Guex, entraîneur en chef du sprint et des haies chez Swiss Athletics, est d'accord avec ce constat.
Nous l'avions contacté l'année dernière et voici ce qu'il disait: «On peut obtenir un gain aéro à partir d'une vitesse entre 15 et 20 km/h. Or il y a très peu de disciplines en athlétisme dans lesquelles les sportifs sont en-dessous de ces mesures». À titre d'exemple, Florence Griffith-Joyner a couru à une vitesse moyenne de 34,31 km/h lors de son record du monde sur 100m.
Concrètement, cela signifie que la quasi totalité des athlètes aurait intérêt à se pencher sur l'aérodynamisme, quand bien même les gains n'ont rien à voir avec ceux que l'on peut obtenir en cyclisme:
S'il y a un impact, pourquoi le négliger? Les stars de la piste cendrée s'échinent chaque jour à l'entraînement pour tenter de grappiller quelques centièmes. Pourquoi se présentent-ils au départ des courses les plus importantes de leur saison avec un look de nature à les ralentir?
«C'est vrai qu'il y a un paradoxe», reconnaissait sans peine Kenny Guex. «Certains sprinters s'entraînent avec un expert en science du sport qui prend des mesures au laser et leur fournit les datas après chaque course d'entraînement afin d'avoir un retour immédiat sur la performance. Et dans le même temps, ils n'intègrent pas ces gains marginaux qui, à la fin, peuvent leur coûter du temps.»
L'entraîneur romand admettait lui-même qu'il ne discutait pas avec ses athlètes de la façon dont ils devaient se coiffer pour une compétition. Il s'agissait simplement d'un sujet qui n'était pas abordé. «Mujinga Kambundji a souvent une coupe de cheveux qui prend un peu de place, mais personne ne lui a jamais dit qu'elle devait se coiffer autrement.»
C'est peut-être parce que les excentricités font partie de ce sport, qu'elles y sont même encouragées. Certains athlètes ont construit une image, ils sont devenus un personnage avec des cheveux rouges, jaunes, verts ou bleus et des ongles peinturlurés, et ils ont très bien compris tout ce que ce personnage pouvait leur rapporter.
«En athlé, tu ne gagnes pas ta vie avec le prize money», rappelait justement Kenny Guex. «C'est donc la façon dont tu vends ton image et tes sponsors qui te permettent d'avoir un revenu stable. Dès lors, et en résumé, le gain lié à ton look et au buzz qu'il suscite est peut-être plus important que la perte de centièmes liée à l'absence d'aérodynamisme.»
Cet article a été adapté d'une première version parue sur notre site en août 2023.