Un jeune homme athlétique au t-shirt kaki, acculé contre le mur, fait face à la puissante lumière du projecteur TV. Il tient fermement son micro et prend une longue inspiration.
Sa courte présentation terminée, Yanis Saxer lâche un soupir de soulagement. Il est chaleureusement félicité par ses potes Jaïr et Thierry, de l'autre côté de la caméra. Et il y a de quoi! Le «gamin» de la bande (19 ans), en apparence discret, vient de se métamorphoser devant l'objectif pour raconter avec exaltation comment il avait réussi à obtenir le dossard – et la signature dessus – de la championne italienne de ski alpin.
Ces capsules vidéos, c'est la dernière trouvaille de ce groupe d'amis de la région biennoise pour leur projet commun insolite: un musée de l'autographe sportif.
Ici, aucun portique de sécurité à l'entrée, ni de ticket et encore moins de gardien trop zélé qui ordonne le silence aux visiteurs. Au contraire! Les pièces de collection sont à admirer une chope de bière à la main, dans le tumulte d'un bar, depuis sa table ou debout devant les vitrines.
Depuis le début de l'automne, les «chasseurs d'autographes» Jaïr Geiser et Yanis Saxer exposent une partie de leur impressionnante collection sur tout l'étage supérieur du Beer O'Clock à Bienne. «Au total, je dois bien être à 8'000 signatures récoltées dans ma carrière», chiffre Jaïr, 40 ans, qui est tombé dans la marmite quand il avait 5 ans.
Ce mordu de sport, qui a grandi à La Neuveville (BE), a entraîné dans sa passion son ancien voisin, Yanis. Comme son aîné, ce dernier est parti à la chasse quasiment dès qu'il a su marcher.
Depuis, le duo a amassé un nombre incalculable d'objets dédicacés par des athlètes de toutes disciplines. Bidons, dossards, maillots, casques, raquettes, balles, chaussures, posters, photos: leur stock est une véritable caverne d'Ali Baba. «Dans la maison de mes parents, deux pièces entières sont remplies uniquement de cartons d'objets signés et de mannequins avec des maillots», rigole Jaïr Geiser.
Ces cartons ne sont pas scellés, mais il pourrait l'être. Les vitrines du Beer O'Clock aussi, d'ailleurs. Car les premiers, comme les secondes, abritent des bibelots précieux. Des exemples? Un maillot de Cristiano Ronaldo, une raquette de Stan Wawrinka, un équipement de Roger Federer ou encore un dossard de Lara Gut-Behrami. Et les highlights de leur musée, alors? Jaïr Geiser et Yanis Saxer réfléchissent trois secondes.
Mais les deux Biennois ne visent pas seulement les stars. «Ce qui nous intéresse principalement, c'est l'histoire à raconter derrière chaque quête d'un autographe», s'enthousiasment-ils d'une seule voix. Jaïr Geiser enchaîne:
Le quarantenaire, enseignant spécialisé, a des étoiles dans les yeux. Son disciple Yanis, qui l'écoute religieusement, aussi. Les deux ont des anecdotes à la pelle. Ce sont justement elles que les visiteurs pourront bientôt découvrir en vidéo sur leur smartphone, en scannant un QR code à côté des objets exposés au Beer O'Clock.
«Cet été, je vois sortir du village olympique un Indien avec une énorme barbe. J'ai adoré son look atypique. Je lui demande un autographe, mais je n'avais absolument aucune idée de qui il était. En faisant ensuite des recherches sur Google, j'ai vu qu'il venait de gagner le bronze en hockey sur gazon», se marre Jaïr.
Yanis embraie:
Et puis, il y aussi quelques déceptions. «En 2000, à 15 ans, je suis allé voir le Real Madrid jouer un match amical à Nyon», se souvient Jaïr Geiser. «Je me retrouve face à Zinédine Zidane, je lui tends mon calepin et mon stylo. Il prend ce dernier et le repose dans le cahier, sans rien signer. Et il est rentré dans le bus».
«Zizou» est l'une des très rares stars à avoir mis un vent aux Biennois. A force de croiser les deux compères, qui vont jusque dans les hôtels pour aborder les athlètes – «mais toujours avec tact» –, ceux-ci les reconnaissent et accèdent en principe volontiers à leurs requêtes. Comme l'expliquait Yanis face caméra à propos de Federica Brignone.
«Ce musée, c'est un rêve qu'on a depuis dix ans», s'émeut Jaïr Geiser en regardant les vitrines. Pour le réaliser, il a fallu aux deux amis du culot, donc, mais aussi de la chance. Avant de tapisser les murs du Beer O'Clock à Bienne, leur collection était exposée dans des petits locaux à La Neuveville entre 2018 et 2021. Mais le bail a pris fin et il a fallu tout ranger dans les cartons.
C'est seulement cet été qu'un espoir de dépoussiérage est né. Alors à la chasse aux autographes aux JO de Paris, Jaïr croise Thierry Siegfried, journaliste en reportage pour la chaîne TV Canal Alpha. Ce dernier, passionné de sport, est aussi co-propriétaire du Beer O'Clock. Les deux hommes se connaissaient déjà un peu. Thierry propose à Jaïr d'aménager l'étage supérieur de son bar en petit musée. On connaît la suite.
«C'est du gagnant-gagnant», se réjouit Thierry Siegfried.
Depuis plusieurs semaines, Jaïr, Yanis, Thierry, Sébastien Egger (l'autre co-propriétaire) et leur pote Manuel Hodel se rencontrent une fois par semaine pour avancer dans les travaux. Il y a d'abord eu la construction des vitrines, qu'il a fallu ensuite remplir. Le choix des objets et leur agencement est le fruit de discussions entre les cinq potes. «J'ai insisté pour qu'il y ait une touche biennoise», raconte Thierry Siegfried. Il sourit, se tourne vers Jaïr et Yanis, et leur lance:
Les reliques du gardien neuchâtelois pourraient bientôt côtoyer un autre objet très désiré. «Notre prochaine cible prioritaire, c'est le dossard de Marco Odermatt», confie Yanis Saxer. Avec son compère, ils se rendront à Crans-Montana les 22 et 23 février prochains pour voir la descente et le Super G de Coupe du monde et tenter d'intercepter le Nidwaldien.
Jaïr Geiser est des plus confiants: «Quand on veut, on peut!» Les innombrables objets de leur fabuleux musée sont aussi là pour le rappeler.