À un jour et 2300 kilomètres d'écart, le tennisman Carlos Alcaraz (vendredi) et le footballeur Kevin de Bruyne (samedi) ont vécu la même détresse, le même sentiment d'impuissance au coeur du jeu, dans ce qui était le match le plus important de leur saison. Touchés physiquement, ils ont dû renoncer à se battre pour la victoire, laissant derrière eux autant de regrets que de questions, dont celle-ci: comment un sportif de haut niveau peut-il craquer physiquement à ce point et aussi tôt dans la partie? Alcaraz a été rattrapé par des crampes en fin de deuxième set déjà contre Novak Djokovic, lors d'une demi-finale de Roland-Garros qu'il a perdue et terminée le corps raidi; De Bruyne, lui, a vu son ischio-jambier se dérober après 36 minutes en finale de la Ligue des champions, avant de suivre la victoire de City contre l'Inter Milan (1-0) depuis le banc.
Chez les deux stars de leur sport, on devine que c'est la tête qui a lâché avant le corps, et que ce n'est peut-être pas un hasard si la blessure est apparue dans un pic de stress. «J'étais peut-être plus tendu que je n'aurais dû l'être», a d'ailleurs reconnu Alcaraz, ajoutant ensuite:
Il est certain qu'en temps normal, Kevin de Bruyne n'aurait pas dû être impressionné par l'Inter Milan, quand bien même le club italien possède un redoutable milieu de terrain. Mais en finale de la Ligue des champions, une compétition que City n'avait encore jamais remportée, et face à un adversaire qui a très tôt trouvé le moyen de couper les lignes, tout a changé. Les Citizens n'ont pas réussi à poser leur jeu, ils se sont agacés, crispés, et De Bruyne s'est fait mal.
Cette blessure en rappelle un autre, celle de Rafael Nadal contre Stan Wawrinka en finale de l'Open d'Australie 2014. Le gaucher était aussi le grand favori de la compétition, et c'est lorsqu'il a compris que les choses ne se déroulaient pas comme il l'espérait, quand il s'est rendu compte qu'il lui était difficile de mettre son jeu en place face à un Vaudois au tennis exceptionnel, que son corps s'est contracté et qu'une vieille blessure au dos, supportable jusque-là, a brusquement empiré.
Car à force de présenter chaque rendez-vous sportif comme une confrontation musculo-technico-tactique, on en oublie parfois qu'un paquet de neurones en ébullition peut faire déborder la marmite à émotions. Nous parlerions ainsi autrement de la finale de C1 aujourd'hui (et Jack Grealish verrait les choses avec un peu plus de clarté) si Romelu Lukaku, au moment d'égaliser face au but grand ouvert à la 88e minute, ne s'était pas souvenu qu'il avait raté tant de fois de si grandes occasions de marquer.
Ce solide gaillard de 1,90 m pour 94 kg, qui se fait appeler «Big Rom» et qui a déjà disputé plus de 600 matches de haut niveau, est donc lui aussi sujet aux tourments, ce qui n'est rassurant pour personne, pas même pour la numéro une mondiale de tennis Iga Swiatek. La Polonaise n'avait pas égaré le moindre set sur le chemin de la finale dames de Roland-Garros avant de se heurter au jeu fantastique de Karolina Muchova. Soudain dérangée par la panoplie des coups adverses, toutes ses certitudes ont vacillé. Elle a fini par débrancher les fusibles:
Sa victoire en trois sets (6-2 5-7 6-4) n'en a été que plus belle, car elle est le résultat d'une maîtrise de son adversaire autant que d'elle-même.
C'est d'ailleurs en prenant le contrôle sur leurs pensées et leurs émotions que les grands champions de l'histoire du sport ont forgé leur palmarès, d'où l'expression «prendra la tête» d'une compétition. L'un des plus beaux exemples du week-end nous est aussi venu de Roland-Garros mais dimanche, lorsque Novak Djokovic a eu une balle de break contre lui à 3-4 dans le premier set qui l'opposait à Casper Ruud.
Le Serbe savait que tout serait plus compliqué s'il perdait la première manche, alors il a activé les mêmes schémas de pensée auxquels il est habitué dans les moments chauds (c'est ce qu'on appelle «l'expérience»), puisant dans ses certitudes pour s'en sortir, ravir le set puis le match.
«Vous voyez la différence entre un joueur qui a remporté 22 titres du Grand Chelem et un autre, a souligné Marc Rosset sur la RTS lorsque le futur vainqueur a égalisé à 4-4. Djokovic n'est pas bien sur ce jeu. Il force, on sent que tout est dur pour lui. La différence, c'est qu'il gagne son jeu de service.»
C'est une réponse à tous ceux qui cherchent à mesurer la distance qui sépare deux adversaires: il suffit parfois de calculer l'écart entre les deux oreilles.