Certains disent que les tirs au but, ce n’est pas du football. Ce sont souvent les spectateurs les moins stoïques. Les supporters en CDD ou les plus ultras. Ceux qui remontent une écharpe et une bière de la cave le temps d’un tournoi, jusqu'à ceux qui programment leurs vacances d'été en Allemagne. Une affirmation noyée dans les sanglots, censée les aider à digérer une punition jugée injuste, et parfois basée sur un seul misérable shoot un poil mollasson.
Hélas, qu’importe la qualité du onze, les 120 minutes d’héroïsme, les occasions qui s’entassent et les victoires précédentes, si deux jambes tremblent au bout du chemin, l'émotion qu'elles susciteront ne sera jamais une bouée de sauvetage.
C'est le jeu, comme on dit. Celui qui est inscrit en toutes lettres dans le règlement de l'International Football Association Board. Bien sûr, d'une séance de tirs au but s'échappe toujours l’odeur puérile du pile ou face. Et pas seulement parce que le verbe «tirer» s'applique aux deux exercices. Une odeur qui reste dans les naseaux des semaines durant, écrasant presque volontairement le courage du peloton, la résilience du fusillé et l'effroi du public. Comme si la faute à pas de chance était la seule à pouvoir offrir un chemin vers le sommeil au malheureux Manuel Akanji, ou même à Yann Sommer, qu’on a estimé effacé, en dessous, quasi impropre à la gagne.
A l'inverse d'un coup franc, qui fait passer son tireur pour un artiste quand le cuir fait trembler les filets, le pénalty sacre d'abord celui qui l'arrête. Ce n'est pas pour rien qu'au moindre tir manqué, Internet sort les fusils pour se moquer du paria. Comme si, par définition, un pénalty est au moins aussi inarrêtable qu'un bouquet de plombs dans le poitrail.
Voyez ces visages avant l'acte. Avant que le doigt ne presse sur la gâchette. L'humanité tout entière les traverse de part et d'autre en quelques secondes. Les caméras autour du terrain l'ont d'ailleurs bien compris, puisque les zooms sont braqués sur les gueules. Tout se joue dans le regard et l'attitude. Un duel à l'intimidation, à l'esbroufe, à la ruse. Un peu comme du poker en crampons, où chaque tir revient à faire tapis.
Enfoncés dans nos canapés, nous voilà spectateurs forcés d'une mise à mort annoncée. Les mains moites cachent souvent les yeux comme devant un vulgaire film d'horreur. Ça crie, ça crise et ça crispe, figé à l'idée d'assister à un bain de sang. Dans les mimiques du tireur, on cherche la faille. Celle qui pourrait nous faire deviner l'étendue des dégâts.
Comme si ça pouvait amortir le choc.
Oui, on dit parfois que tout ça, ce n’est pas du football. Mais que dirait-on d'une victoire par épuisement? D'un but marqué à la 489e minute, par un joueur rampant péniblement jusqu'aux cages? Pourquoi, une fois sur une pelouse officielle, une belle endurance aurait meilleure allure que des nerfs d'acier? Il y a beaucoup de courage et de dignité dans une séance de tirs au but. Des gladiateurs en cuissettes qui se défient sous le regard intraitable de millions d'empereurs désireux d'être divertis: nous, vous.
C'est vrai, la Nati aurait mérité de continuer l'aventure. Mais Akanji est tombé et elle a tout autant mérité l'élimination. L'unique victoire des Suisses en tirs au but hante encore nos voisins français. Et on se souvient à quel point elle fut importante et futile à la fois.
C'est ainsi. Le jeu a parlé. Au suivant.
Ave César, ceux qui vont mourir te saluent.