On voit Murat Yakin, qui n'est pas assis sur le banc comme un tas de misère et qui regarderait le terrain avec des yeux vides. Au lieu de ça, on voit un sélectionneur national, la tête haute, féliciter les Anglais et ses propres joueurs. On le voit consoler Manuel Akanji, le seul tireur qui a raté.
On voit Granit Xhaka tenir plus de 120 minutes malgré une déchirure musculaire. On voit un capitaine de la Nati qui, au moment peut-être le plus amer de sa carrière, ne s'apitoie pas sur son sort, mais traverse le terrain tel un preux chevalier et relève ses coéquipiers. On voit un Xhaka qui accepte avec grandeur la défaite et le respect des joueurs anglais, tout en souriant. Un Granit Xhaka tel qu'on l'a toujours souhaité. Passionné, concentré, mature et souverain.
On voit Manuel Akanji qui essaie de garder son sang-froid. Notre ministre de la Défense qui, en ce moment même, préférerait sans doute se téléporter dans un endroit isolé. Mais Akanji ne se cache pas. Il accepte le réconfort de ses coéquipiers.
Ah, le football, quelle misérable garce tu es! C'est vrai, on n'avait pas abordé cet Euro avec les plus grandes attentes. On était peut-être même un peu pessimistes, comme on l'est souvent en Suisse. Mais cette équipe fantastique n'a même pas eu besoin de 90 minutes pour nous entraîner dans son voyage.
Au début, ce n'était peut-être que celui de l'espoir. Mais après le 1-1 contre l'Allemagne, il s'est transformé en voyage de confiance. Et puis, après la victoire 2-0 contre l'Italie en 8e, il est devenu un voyage au pays des merveilles.
La finale. Et même le sacre. On a rêvé d'eux éveillés. On s'est fait des films. Sur qui on tomberait à Berlin le 14 juillet. Oui, on pensait qu'après la victoire en 8e de finale, on retournerait dans la capitale allemande. Pour faire vibrer la porte de Brandebourg. Pour voir une ville rouge et blanc.
Bien sûr, ces pensées étaient audacieuses. Mais on s'est laissé entraîner dans le voyage et séduire par cette équipe. Ce n'était pas une erreur. Pas du tout.
Mais ce qui nous a au moins autant enivrés que ce jeu, c'est l'attitude solidaire et le comportement mature de nos joueurs.
Ah, le football, misérable garce! Ce n'est pas comme si les Anglais avaient volé cette victoire, c'était un match d'égal à égal. Mais vers la fin des prolongations, c'est la Suisse qui a eu les meilleures occasions.
Ici, la grande Angleterre, mère-patrie du football. Là, la petite Suisse. Londres compte à elle seule autant d'habitants que notre pays tout entier. Ici, les footballeurs des Three Lions, dont l'effectif vaut 1,5 milliard d'euros. Là, la Nati, évaluée à 282 millions.
Il est impitoyable. Jamais on n'a été aussi proches de la Nati que lors de cet Euro. Jamais la fin de parcours d'une équipe nationale n'a été aussi douloureuse. Jamais on n'a autant espéré que le voyage continue. Ah, le football, misérable garce. J'en ai assez de toi. Au moins jusqu'à mardi, jour de la première demi-finale.
Adaptation en français: Yoann Graber