«Des coups de pression avec des gros calibres, il y en a beaucoup, sauf que les mecs ne le disent pas. Ils ne veulent pas passer pour des baltringues, des victimes.» Abdelkrim Branine est un ancien journaliste vedette de la radio Beur FM, populaire dans les milieux maghrébins en France. L’affaire Paul Pogba, d’une «ampleur inédite», constate-t-il, est emblématique des liens «à la vie, à la mort» entretenus avec le «quartier» par des stars du foot devenues richissimes.
A quatre mois de la coupe du monde au Qatar, les révélations sur des «tentatives d’extorsion en bande organisée», selon le joueur, auxquelles son frère aîné, Mathias, serait mêlé, risque de fragiliser l’équipe de France. «A la FFF (réd: Fédération française de football), ils doivent être sur des charbons ardents, d’autant plus que le nom de Mbappé apparaît dans ces révélations comme possible cible d’un maraboutage. C’est la première fois que des histoires de bandits rattrapent à ce point le onze tricolore», relève, inquiet, Abdelkrim Branine. Il ajoute:
A l’automne 2015, à quelques mois de l’Euro organisé en France, l’attaquant du Real Madrid était soupçonné d’avoir prêté la main à une tentative de chantage sur l’un de ses coéquipiers de l'équipe de France, Mathieu Valbuena. L’avant-centre madrilène avait «aidé» un ami d’enfance de Bron, le quartier où il a grandi, en banlieue lyonnaise. Un ami qui a fait de la prison pour braquages. Les amitiés, les serments, les pactes, toutes ces choses fortes nouées entre bacs à sable et jets de pétards, ça vous colle aux semelles toute une vie, quand on vient du quartier. Vraiment?
C’est une sorte de fatalité à laquelle il est difficile d’échapper. La réussite, ça rapporte, mais ça se paie aussi, note Abdelkrim Branine, auteur du roman «Le Petit Sultan» (éditions Zellige), paru au début de cette année, dont l’intrigue, liée au milieu du football, recoupe pour partie le genre d’affaire dont il est question dans le cas Pogba.
Redevables, au point de dire «oui» au pote d’enfance quand, parfois, il faudrait lui dire «non». Comme dans le dossier de la sextape impliquant Benzema, ou, dans un domaine différent, celui du cinéma, mais toujours avec la cité pour décor, lorsque le réalisateur Ladj Ly, alors peu connu, a été mouillé dans une entreprise de séquestration. C’était en 2009, dix ans avant le triomphe de son film «Les Misérables».
Dans la grande famille du foot, les codes ont changé. Pas toujours pour le meilleur, manifestement.
Résultat: la corporation des agents a vu arriver dans ses rangs des nouveaux venus aux dents longues, «ça va du mec qui passe sa licence de joueur au voyou», résume l’ex-journaliste de Beur FM.
Les affaires qui sortent dans la presse ne seraient donc qu’une toute petite part de l’iceberg des «coups de pression» exercés sur les millionnaires des dimanches de Premier League et d'ailleurs par un entourage qu’ils connaissent ou qu’ils se découvrent à la faveur de leur fortune accumulée. Et qui les presse de s’acquitter de l’«impôt de quartier», selon la formule d’Abdelkrim Branine.
Celui-ci cite l’exemple d’un joueur de l’équipe de France, champion du monde en 2018 – ce n’est pas Paul Pogba – «qui se faisait racketter par des gars de son quartier», en banlieue parisienne. Ou de cet ancien défenseur du PSG «qui distribuait par dizaines des moutons dans son quartier à l’Aïd». Le milieu récupérateur français Ngolo Kanté avait porté plainte, lui, contre son ancien conseiller d’image pour «escroquerie» – plainte dont il a toutefois été débouté en 2019.
Là, le fils a grandi. Originaire d’Afrique subsaharienne, c’est une idole. Son nom: Emmanuel Adebayor, international togolais, passé par le FC Metz. Le sait-on? «Sa famille lui pompait tout son fric, lui faisait du chantage à des révélations. Il versait à sa mère un salaire, on disait que c’était le plus gros du pays après celui du président», rapporte Abdelkrim Branine.
Ces manières de vautour se retrouvent dans le milieu du rap, ajoute l’auteur du «Petit Sultan».
C’est bien simple, reprend Abdelkrim Branine: «Il y a ceux qui décident d’arroser le quartier direct, ceux qui ont une garde rapprochée pour se prémunir de tout ça, avec le risque de se voir un jour rançonner par les mecs qui vous ont protégé, la situation apparemment vécue par Pogba, et ceux qui fuient, comme Zidane, parti de la Castellane, à Marseille, mais dans son cas, sa famille est très respectée. Côté rap, on peut se demander pourquoi Booba s’est exilé à Miami.»
Pressés comme des citrons, mais au fond d’eux, la mémoire de la pulpe. On ne trouvera aucun fruit sorti du panier renier la corbeille dont il est issu. Un attachement (ou un intérêt) que ceux qui ne peuvent pas comprendre jugeront complètement maso.
«Ils ont beau vivre avec des millions, ils se rendent bien compte que le monde dans lequel ils évoluent n’est pas le leur, que tout, un jour, peut s'arrêter», retient Abdelkrim Branine.