«C’est très inhabituel»: pourquoi deux arbitres voilées officient en Suisse
Passes rapides, tambours assourdissants, public en délire. Au milieu: Maali Alenezi (29 ans) et Dalal Al-Naseem (31 ans), venues du Koweït. Deux femmes en tenue d’arbitre bleue et noire, foulard noir sur la tête, regard concentré. Mercredi soir, la Mobiliar Arena de Berne a offert un tableau inédit.
Pour les deux arbitres koweïtiennes, c’est seulement leur deuxième match en QHL, la première division suisse de handball. Sur le terrain, le BSV Berne affronte Pfadi Winterthour. «On les a tout de suite remarquées», lancent deux supporters à la pause à propos des directrices de jeu. Une spectatrice ajoute: «Ce qui frappe, c’est surtout leur taille.»
Les deux femmes font bien une tête de moins que les handballeurs géants. Mais croire que cela les empêche d’imposer leur autorité serait une lourde erreur. A la moindre faute, leur coup de sifflet aigu résonne dans l’arène. Un geste, et même les joueurs de deux mètres se penchent vers elles pour écouter leurs explications. Elles ne laissent aucune place aux discussions: elles connaissent ce sport sur le bout des doigts.
Alenezi et Al-Naseem sont le premier duo féminin d’arbitres du Koweït – et les seules arbitres arabes de tout le continent asiatique. Elles ont déjà officié lors de cinq Championnats du monde, la dernière fois au tournoi masculine U19 en Egypte. «Notre prochaine étape, c’est le Mondial féminin cet hiver», annonce Dalal Al-Naseem. Et à partir de fin novembre, elles arbitreront en Allemagne et aux Pays-Bas.
Un programme qui profite aussi à la Suisse
Si les deux Koweïtiennes arbitrent actuellement en Suisse, c’est grâce à la Fédération internationale de handball (IHF), qui a lancé un programme permettant à des binômes d’arbitres extra-européens d’acquérir de l’expérience dans quatre à cinq championnats européens. Le projet, testé il y a une dizaine d’années, vient d’être relancé.
Pour Stephan Summ, responsable des arbitres au sein de la fédération suisse, l’initiative est doublement bénéfique:
Leur présence sert aussi de modèle. Actuellement, la Suisse ne compte qu’une quarantaine d’arbitres femmes – soit à peine 10 %. Parmi elles, Andrea Müller et Sandra Schaad, un duo déjà actif au niveau européen. «Elles ne sont pas nombreuses, mais leur niveau est excellent, justement parce qu’elles sont si peu», souligne Summ.
Maali Alenezi et Dalal Al-Naseem ont été attribuées à la Suisse par tirage de l’IHF. Pour Stephan Summ, c’est une chance:
Regards insistants et grand défi
Si l’accueil est majoritairement positif dans la salle, quelques regards se font insistants. «C’est quand même très inhabituel de voir deux femmes avec un foulard sur le terrain. En Suisse, ce n’est pas courant», fait remarquer un spectateur. Un autre se montre carrément insultant:
Les deux arbitres savent qu’elles ne passent pas inaperçues. «Le défi, c’est qu’ici, personne ne nous connaît. Les joueurs et les spectateurs voient deux arbitres musulmanes et ne savent pas toujours comment réagir», explique Maali Alenezi.
A côté du handball, Alenezi est professeure de physique et Al-Naseem étudie l’ingénierie. Dans la péninsule arabique, il n’existe qu’une seule équipe féminine. «Le niveau est extrêmement faible», regrette Alenezi. C'est pourquoi elles ont choisi de devenir arbitres et ne dirigent que des matchs masculins – un avantage, selon elles: «Cela nous pousse à progresser sans cesse.»
Qu’est-ce qui les attire dans ce métier? «Tout», répond Al-Naseem. Alenezi complète:
Elles ont commencé il y a une dizaine d’années, à un niveau modeste. Rapidement, elles ont franchi les étapes. «Parfois, on se dit qu’on n’y arrivera pas, qu’on ne sera pas retenues pour les Mondiaux. Et puis vient la nomination, et là, on donne tout pour s’améliorer», raconte Maali Alenezi.
Le duo koweïtien était à nouveau à l'œuvre ce samedi soir, en Argovie, lors du match de deuxième division entre Baden-Endingen et SG Wädenswil/Horgen.
Adaptation en français: Yoann Graber
