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Morgan Le Guen sur le marathon: une thérapie pour aller mieux

Morgan Le Guen lors d'un stage d'entraînement au Kenya.
Morgan Le Guen lors d'un stage d'entraînement au Kenya.

«La course à pied a été une thérapie pour aller mieux»

Le Genevois Morgan (ça se prononce «Morgane») Le Guen a commencé à courir il y a six ans. Depuis, on ne l'arrête plus: grâce à ses chronos canon, il a intégré l'équipe de Suisse en tant que professionnel et rêve des JO de Paris.
16.07.2022, 07:5216.07.2022, 11:47
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Morgan Le Guen, pour que l'on soit bien sûr d'avoir compris, vous avez débuté la course il y a six ans seulement, à l'âge de 23 ans. C'est vrai?
Exactement (il rit). C'était en 2016. Quelques mois après, j'ai fait mon premier dix kilomètres. J'ai mis 32'45. Je pense que j'avais quelques prédispositions. Ma mère était très forte en course à pied; plus jeune, elle battait même les garçons. Mon père, lui, a pratiqué le canoë-kayak au niveau national. J'ai toujours fait du sport avec eux. Et puis, on a un bon cœur dans la famille.

Comment le savez-vous?
Quand j'ai commencé la course à pied, j'ai fait un électrocardiogramme. Après avoir installé le dispositif, le médecin m'a demandé comment j'allais, parce que l'appareil affichait un rythme cardiaque de 27. C'était incroyablement bas. Il m'a dit: «Je n'ai jamais vu ça». Je me sentais pourtant très bien. J'en ai déduit que dans ma famille, nous avons des prédispositions pour les sports d'endurance.

Mais ce n'est pas la raison de votre investissement dans la course à pied.
Non. Le but, au départ, c'était de me défouler, d'évacuer le stress des études à la HES-SO. Certains choisissent la cigarette, moi je suis tombé dans la course à pied! C'est vrai aussi que je voulais perdre un peu de poids. J'avais 10-15 kilos de plus à l'époque.

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Mais pourquoi la course à pied et pas une autre discipline, comme le foot ou le CrossFit?
Parce que c'est un sport que tu peux pratiquer n'importe où et n'importe quand, le soir en rentrant de la bibliothèque, ou entre midi et deux. Il te suffit d'avoir une heure de libre et une paire de baskets. Quand tu te remets au travail ensuite, les choses sont soudain beaucoup plus claires. La course était presque une thérapie au début.

Puis, très vite, un sport de compétition.
Oui. L'Uni de Genève (Unige) nous payait l'inscription pour la course de l'Escalade fin 2016. Je courais depuis 2-3 mois. Je me suis dit: «Tant qu'à faire, allons-y!» J'ai terminé sixième en 26 minutes.

Avec quel équipement aviez-vous participé?
(Il rit de sa réponse.) J'étais en collant avec un haut technique, un t-shirt, un tour de cou, un bonnet et des gants! A la fin du deuxième tour, je bouillonnais, j'avais envie de tout arracher.

Et les chaussures?
J'avais pris mes baskets d'entraînement, lourdes et pas du tout adaptées à la course. Je ne savais même pas qu'il existait des chaussures légères qui permettaient d'aller un peu plus vite. C'était vraiment artisanal.

Comme vos séances d'entraînement, non?
Disons que mon entraînement consistait à courir le plus vite possible tous les jours! Je ne faisais même pas de fractionné. Je me suis par la suite intéressé aux plans d'entraînement sur Internet. Six mois mois après, j'ai fait 31'20 lors du dix kilomètres d'Annecy. C'est à ce moment-là que je me suis dit que je pouvais être très bon.

«C'est aussi ce qui fait ma force: je n'ai pas peur de rêver grand»
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C'est un peu comme si la compétition vous stimulait.
C'est tout à fait ça. Je marche beaucoup à l'adrénaline. Je sens que je deviens différent à l'approche des compétitions. Je suis impatient d'en découdre, un peu comme un lion en cage. J'entends mon cœur battre et au coup de pétard, tout est décuplé.

Quelles concessions avez-vous dû faire pour progresser?
Je me souviens qu'une copine m'a quitté à cause de la course à pied. Elle avait du mal à comprendre que j'investisse autant de temps pour mon sport, et donc pas assez pour elle. Par la suite, avant de passer professionnel (réd: depuis le 1er juillet de cette année), j'ai aussi changé de métier pour avoir plus de temps pour m'entraîner. J'étais ingénieur agronome, je suis devenu éducateur spécialisé.

Pourquoi rêvez-vous du marathon aux JO alors que tous vos temps de référence ont été réalisés sur 10 000 mètres, une distance que vous avez toujours privilégiée jusque-là?
Parce que j'ai des qualités pour le long. Plus la course dure, mieux je me sens. J'ai d'ailleurs déjà couru en 61 minutes sur semi-marathon cette année. Et puis, les minimas olympiques sont plus facilement atteignables sur marathon. Je participerai à ma première course sur la distance début 2023.

«Le but, c'est d'être performant dès 2023 pour le début de la fenêtre des qualifications olympiques»

C'est fou quand même: on est en train d'évoquer le marathon aux JO alors que vous n'en avez encore jamais fait.
C'est vrai, mais mes temps sur 10 000 mètres et semi-marathon (réd: 1h02) me permettent d'aborder ce type d'épreuves avec confiance. Je sais que j'ai les qualités. Les inconnues résident dans ce fameux mur à gérer (réd: entre le 30e et le 35e kilomètre) et dans l'alimentation. Je vais me faire aider par un diététicien.

Vous avez les deux nationalités, suisse et française. La Fédération française vous a-t-elle déjà approché?
Oui, deux fois. Mais je leur ai toujours dit que ma décision était prise et que je voulais courir pour la Suisse. C'est grâce aux personnes rencontrées à Genève que j'ai pu progresser, et notamment à Marco Jäger, l'ancien entraîneur de Julien Wanders. Il a été incroyable.

Considérant vos résultats, ne regrettez-vous pas de ne pas avoir commencé la course plus tôt? Il est vrai aussi qu'en débutant tard, vous n'avez pas soumis votre organisme à des séances d'entraînement intensif à l'adolescence.
Je me suis déjà posé ce genre de questions et j'ai décidé de ne pas avoir de regrets. J'ai obtenu un diplôme d'ingénieur agronome et je sais déjà que je trouverai un travail quand ma carrière de sportif sera terminée. Et ce que vous dites est vrai: j'ai eu la chance de préserver mon corps pendant pas mal d'années, si bien que je ne me suis quasiment jamais blessé depuis le début de ma carrière. Je remarque que j'arrive à rester en santé malgré de grosses charges d'entraînement.

Etes-vous déjà allé à Iten, comme tout bon coureur de fond?!
Bien sûr! J'ai rejoint le groupe de Julien Wanders fin 2019-début 2020. Je ne m'étais jamais entraîné aussi dur de toute ma vie, mais ça valait le coup car ça m'a ôté des barrières psychologiques. Lors de la première sortie d'endurance, on est parti à 20 et on est rentré à 5. J'étais à côté des Kényans et je me rendais compte qu'ils soufflaient et souffraient autant que moi.

A Iten, on se sent tout petit.
A Iten, on se sent tout petit.

Il paraît que vous aimez bien Eiud Kipchoge. Or, il a 39 ans et vous 28. Vous avez encore de belles années devant vous.
Les plus belles seront les trois ou quatre prochaines. En course à pied, on situe la maturité autour des 30 ans, un âge où l'on obtient un bon équilibre entre vitesse et endurance. Mais sur marathon, on peut facilement courir jusqu'à 38, 39 voire 40 ans.

Merci beaucoup pour l'interview...
(Il coupe) Euh...

Vous vouliez ajouter quelque chose?
En fait, j'ai fait une connerie. Je me suis fait tatouer les anneaux olympiques sur l'avant-bras, avant même d'y aller! Du coup, je n'ai plus le choix...

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Mais...pourquoi?!
Pour que, lorsque je suis en course et que c'est dur, ou quand je dois m'entraîner dans des conditions difficiles tard le soir, je puisse les regarder et ne jamais oublier pourquoi je fais tout ça: participer aux Jeux 2024 à Paris.

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