Sport
Jeux olympiques

Aux JO 2022, les athlètes ne se cachent jamais pour pleurer

Image

Les JO poussent les athlètes à bout, et tous finissent par craquer

Pas un jour sans gros chagrin ou bonheur humide. Les Jeux font pleurer même les plus endurcis. Cinq Romands qui ont eu le temps de sécher leurs larmes olympiques expliquent pourquoi, chaque deux ans, les sportifs montrent leur vrai visage.
15.02.2022, 18:4016.02.2022, 08:30

Ceux qui connaissent Lea Sprunger lui trouvent parfois un «cœur de pierre». L'ancienne athlète vaudoise a pourtant pleuré à chaque fois qu'elle a participé aux Jeux olympiques, c'est-à-dire trois fois. «Toujours pour des raisons différentes», rit-elle aujourd'hui. «En 2012, c'est en voyant ma sœur courir dans le stade olympique de Londres. En 2016, c'est après avoir échoué dans mon objectif. Et en 2021, c'est en manquant la finale du 400m haies pour mes derniers JO.»

Lea Sprunger, of Switzerland reacts after a heat of the women's 400-meter hurdles at the 2020 Summer Olympics, Monday, Aug. 2, 2021, in Tokyo, Japan. (AP Photo/Martin Meissner)
Sur la piste cendrée de Tokyo, août 2021.Image: AP

Elle se décrit pourtant elle-même comme «une fille pas trop émotive», mais ça, c'était avant que les Jeux ne lézardent son cœur de pierre. «La pression fait qu'on est beaucoup plus fatigué, à fleur de peau même. On essaie toute l'année de contenir ses émotions afin de ne pas les révéler ni aux autres ni à soi-même. On s'interdit parfois de pleurer parce qu'on ne veut pas s'alarmer. Alors, une fois que ce grand rendez-vous est derrière nous, il y a du relâchement. Les émotions sortent.»

Impossible de les contenir, même quand on se décrit comme une athlète «pudique» et «assez dans le contrôle», comme la triathlète Magali Di Marco, médaillée de bronze à Sydney. «A la fin de ma course, je me suis dit: "Tu ne peux pas pleurer maintenant. Il y a la télévision, tout le monde te regarde." Je ne voulais pas donner l'image d'une athlète qui s'effondre.» Puis la cérémonie du podium est arrivée. «Je craignais alors que des larmes ne coulent sur mes genoux.» C'est exactement ce qui est arrivé.

Aller aux JO, c'est comme donner naissance à un enfant

Le coureur cycliste Pascal Richard, lui non plus, ne pensait pas pleurer. «Je ne craque jamais dans les grandes courses. Mais après mon titre olympique à Atlanta, un journaliste m'a demandé à qui je dédiais ma victoire. J'ai répondu: "A mon père, disparu brutalement quand j'avais 18 ans." Puis j'ai fondu en larmes.»

Pascal Richard observe sa médaille comme une photo de famille.
Pascal Richard observe sa médaille comme une photo de famille.

Cette question, les médias auraient eu mille fois l'occasion de la lui poser dans d'autres courses. Mais ils ne l'ont pas fait, parce qu'aucune autre compétition au monde ne renvoie l'athlète à ce qu'il est au plus profond de lui-même, jusque dans ses tripes.

«En termes d'intensité émotionnelle, je n'ai encore jamais rien vécu de comparable avec les Jeux. J'espère le vivre un jour, je ne sais pas... Beaucoup me disent qu'avoir un enfant procure des émotions très fortes aussi»
Lea Sprunger.

La comparaison n'est pas anodine. Participer aux JO, c'est couver des ambitions pendant quatre ans, les cultiver avec amour, dans l'espérance et la souffrance, jusqu'à leur donner corps. «C'est un long processus», décrit la fondeuse Laurence Rochat. «Rien que de recevoir les habits officiels de la délégation... C'est con, hein, mais porter la même tenue que les autres, sans le moindre sponsor, procure un sentiment d'appartenance hyper fort. Tu comprends alors que tu cours pour une nation et que tout le pays est derrière toi.»

A Salt Lake City, pour sa première participation, la Vaudoise n'a même pas attendu le début de la compétition pour serrer très fort son rêve dans ses bras: «Je ne suis pas du genre à pleurer facilement, mais je l'ai fait lors de la cérémonie d'ouverture. C'était l'aboutissement d'un long travail».

Pour les avoir laissées rouler sur ses joues, puis goûtées du bout des lèvres, Lea Sprunger sait qu'aux JO, les larmes n'ont jamais la même saveur. «Chez moi, les larmes de joie sont plus souvent pour les autres. Mais les plus difficiles à retenir sont celles qui traduisent une immense déception.»

Des larmes au service du récit

Les mêmes que Tiffany Géroudet a mis du temps à sécher après son élimination au premier tour en 2016. «J'ai dû attendre six mois avant de pouvoir retourner dans une salle d'escrime. Chaque fois que je pénétrais dans un club, tout remontait à la surface», relate la Valaisanne qui, six ans après, s'excuse encore au téléphone: «Pardonnez-moi, mais je suis émue rien qu'en vous en parlant».

Tiffany après sa défaite contre Rayssa Costa au Brésil.
Tiffany après sa défaite contre Rayssa Costa au Brésil.

Il est curieux de constater à quel point ces chagrins sont interprétés comme un aveu de faiblesse dans toutes les compétitions sauf aux Jeux olympiques, où ils en deviennent touchants. «Parfois, j'ai essayé de retenir mes larmes, ou demandé d'être interviewée cinq minutes plus tard pour ne pas apparaître en pleurs à l'antenne, parce que c'est quand même un aveu de faiblesse», reconnaît Léa Sprunger. «Mais on ne contrôle pas tout, et puis ça fait du bien de laisser-aller.»

Shaun White, légende du snowboard, n'a plus rien contrôlé après sa quatrième place en half-pipe à Pékin.
Shaun White, légende du snowboard, n'a plus rien contrôlé après sa quatrième place en half-pipe à Pékin.

«Pleurer après une compétition, ce n'est pas être faible», estime Magali Di Marco. «Vous ne pouvez pas être dur si vous n'êtes pas sensible», croit Pascal Richard qui raconte que le champion cycliste Rolf Sorensen, imperturbable devant les journalistes, éclatait en sanglots une fois dans sa chambre.

Les sportifs se cachent de moins en moins pour extérioriser leurs sentiments les plus inavouables, et c'est aussi parce qu'on les y encourage. Les larmes participent de l'identification du public aux champions et servent un récit (en anglais: un storytelling), voire une Histoire, qu'il devient difficile d'oublier.

Car comment oublier...

Michelle Gisin, médaillée de bronze en super-G à Pékin.
Michelle Gisin, médaillée de bronze en super-G à Pékin.

«Le public a de l'affection pour les sportifs qui craquent», songe Magali Di Marco qui sait aussi à quel point le contexte olympique, indépendamment des exigences de chaque athlète, est de nature à révéler les sensibilités. «Vous débarquez sans votre staff habituel dans un environnement hyper contrôlé et hyper médiatisé. Beaucoup de tension se crée autour de vous.»

C'est encore plus vrai quand une pandémie ajoute de nouvelles restrictions. Quand on lui a demandé pourquoi les JO faisaient couler tant de larmes à Pékin, Pascal Richard a d'abord préféré l'humour: «Ils sont dépressifs, les pauvres! Ils ont besoin de câlins!». Puis, il a reconnu que le contexte est pesant, voire anxiogène. «On vit dans un monde peut-être un peu plus tendu qu'il y a 20, 30 ans. Et la pandémie n'apaise pas les choses.»

Les sportifs n'avaient pas besoin de ça, eux qui évoluent en permanence sous tension. «On veut toujours en faire plus, atteindre la perfection en allant au-delà de nos limites», reconnaît sans peine Lea Sprunger. «Ça arrive quand on est aux entraînements mais aussi à la maison. Les jours de repos, on ne fait absolument rien. Les larmes sont la manifestation de ces deux extrêmes.» Et certainement l'expression de ce qu'aucun mot ne peut décrire.

Plus d'articles sur le sport
La venue de Ronaldinho en Suisse a semé le chaos
La venue de Ronaldinho en Suisse a semé le chaos
de Raphael Gutzwiller et Roman Loeffel
L'«effet Odermatt» cause un souci aux fans de ski suisses
L'«effet Odermatt» cause un souci aux fans de ski suisses
de François Schmid-Bechtel
On a vu Messi sauver les fesses de son club
On a vu Messi sauver les fesses de son club
de fred valet et marine brunner, miami
Cette photo cache un grand malaise
Cette photo cache un grand malaise
de Yoann Graber
Une star du Bayern Munich marque un but fou
Une star du Bayern Munich marque un but fou
de Yoann Graber
Ce défi inédit propulse le running dans une nouvelle ère
Ce défi inédit propulse le running dans une nouvelle ère
Les fans de NBA sont fâchés
Les fans de NBA sont fâchés
de Yoann Graber
Une triste addiction a obligé le coach du FC Lucerne à changer de club
Une triste addiction a obligé le coach du FC Lucerne à changer de club
Granit Xhaka va jouer un match spécial
Granit Xhaka va jouer un match spécial
de Timo Rizzi
Djokovic peut rattraper Roger Federer ce week-end
Djokovic peut rattraper Roger Federer ce week-end
de Romuald Cachod
Le retour de Reto Berra en équipe de Suisse soulève un problème
Le retour de Reto Berra en équipe de Suisse soulève un problème
de Klaus Zaugg
Excellente nouvelle pour Simon Ammann
Excellente nouvelle pour Simon Ammann
de Romuald Cachod
Un youtubeur est sur le point de participer au Tour de France
Un youtubeur est sur le point de participer au Tour de France
de Romuald Cachod
Murat Yakin a fait passer un message très clair à Noah Okafor
Murat Yakin a fait passer un message très clair à Noah Okafor
de François Schmid-Bechtel
Le suspense est total sur le banc de la Nati de hockey
Le suspense est total sur le banc de la Nati de hockey
de Klaus Zaugg
Le Lausanne-Sport affronte des communistes
Le Lausanne-Sport affronte des communistes
de Yoann Graber
Des Romands vont braver le danger sur le Tour de France
Des Romands vont braver le danger sur le Tour de France
de Julien Caloz
La menace d’une suspension plane sur la star du ski français
2
La menace d’une suspension plane sur la star du ski français
de Romuald Cachod
Le geste de ce pongiste ravive un grand débat moral
1
Le geste de ce pongiste ravive un grand débat moral
de Yoann Graber
La Ligue des champions aura son show à l'américaine
La Ligue des champions aura son show à l'américaine
de Julien Caloz
Wawrinka va jouer un match spécial
Wawrinka va jouer un match spécial
de Yoann Graber
Le nouveau coach de la Nati a un palmarès à faire tourner la tête
Le nouveau coach de la Nati a un palmarès à faire tourner la tête
de Raphael Gutzwiller
Pia Sundhage ne méritait pas cette fin
3
Pia Sundhage ne méritait pas cette fin
de Raphael Gutzwiller
«Un risque réel» plane sur les marathoniens
1
«Un risque réel» plane sur les marathoniens
Une nouvelle règle veut changer le rythme des matchs de foot
Une nouvelle règle veut changer le rythme des matchs de foot
de Yoann Graber
Shaqiri peut construire sa maison de luxe, mais à une condition
2
Shaqiri peut construire sa maison de luxe, mais à une condition
de Dennis Kalt
Ce geste de Shaqiri fait polémique
Ce geste de Shaqiri fait polémique
Il s'est passé un truc dingue au marathon de New York
Il s'est passé un truc dingue au marathon de New York
de Julien Caloz
Ce Suisse boudé par Murat Yakin cartonne en Bundesliga
Ce Suisse boudé par Murat Yakin cartonne en Bundesliga
de Stefan Wyss
Très bonne nouvelle pour le cyclisme suisse
Très bonne nouvelle pour le cyclisme suisse
de Romuald Cachod
«On tient tête aux meilleurs»: immense exploit des Suisses
«On tient tête aux meilleurs»: immense exploit des Suisses
de Stephan Santschi
Ce dirigeant visionnaire a changé le hockey suisse
Ce dirigeant visionnaire a changé le hockey suisse
de Klaus Zaugg
Cette offre improbable que Marco Odermatt a rejetée
Cette offre improbable que Marco Odermatt a rejetée
de François Schmid-Bechtel
Le monde du ski est secoué par des perquisitions
Le monde du ski est secoué par des perquisitions
de Romuald Cachod
Xhaka et Sunderland ont un soutien massif dans un pays improbable
Xhaka et Sunderland ont un soutien massif dans un pays improbable
de Yoann Graber
Il écrit une nouvelle page de l'histoire du sport suisse
Il écrit une nouvelle page de l'histoire du sport suisse
de René Barmettler
Une ex-star du foot crée un scandale à la boutique du Real Madrid
1
Une ex-star du foot crée un scandale à la boutique du Real Madrid
de Yoann Graber
Et si Thoune allait au bout?
Et si Thoune allait au bout?
de Niklas Helbling
On a testé le curling!
Video: watson
Ceci pourrait également vous intéresser:
Avez-vous quelque chose à nous dire ?
Avez-vous une remarque ou avez-vous découvert une erreur ? Vous pouvez nous transmettre votre message via le formulaire.
0 Commentaires
Comme nous voulons continuer à modérer personnellement les débats de commentaires, nous sommes obligés de fermer la fonction de commentaire 72 heures après la publication d’un article. Merci de votre compréhension!
Les fans de NBA sont fâchés
Le nouveau parquet vert fluo des Minnesota Timberwolves fait beaucoup parler. Et pas en bien.
L'aptitude des Américains à transformer un événement sportif en véritable show n'est plus à prouver. Mais cette fois, ils sont peut-être allés un peu trop loin...
L’article