De l'hôpital à l'Ironman: «J'ai pleuré au départ»
Ses week-ends, Alain Rohrbach les passe habituellement au micro de la chaîne «blue Sport» pour commenter les matchs du championnat de Suisse de football. Mais le 20 septembre dernier, c'était au tour du natif de Bienne de transpirer. Le journaliste a participé à son premier Ironman, le mythique triathlon d’endurance extrême (3,8 km de natation, 180 km de vélo et un marathon de 42,2 km). «J'ai pleuré au départ», avoue Alain Rohrbach, dont la seule présence en Emilie-Romagne, où s'est disputée l'épreuve, était déjà une sacrée victoire.
Un an plus tôt, le quinquagénaire se trouve sur un lit d'hôpital après un accident rocambolesque. «Je me suis déchiré le ménisque du genou gauche lors d'un mouvement dans un cours de yoga», rembobine-t-il, avouant qu'il s'est senti à la fois amusé par la situation mais aussi et surtout dégoûté par ce nouveau coup du sort.
Inspiré par un youtubeur
Cette péripétie le questionne: faut-il renoncer à un sport qu'il adore comme la course à pied si c'est pour se retrouver de toute façon à l'hôpital? Et à 54 ans, n'est-il pas temps de réaliser ses derniers rêves de sportif amateur? Hasard du calendrier, c'est pendant cette période de réflexion que sort le documentaire d'Inoxtag, un youtubeur sans expérience parti à l'assaut de l'Everest. «Voir son film m'a conforté dans l'idée qu'il ne fallait pas avoir de regrets dans la vie. Je me suis dit que j'avais toujours voulu faire un Ironman et que j'allais arrêter d'écouter les autres pour commencer ce chemin avec moi-même.»
Le journaliste de 54 ans s'inscrit donc à l'Ironman qui se tient pile un an plus tard en Italie. Il prend contact avec un coach afin de se préparer dans les meilleures conditions, pour ce qui sera son dernier grand défi sportif, le plus dur aussi.
Car le résident de Troistorrents (VS) possède un joli tableau de chasse chez les amateurs. Après une première carrière durant laquelle il s'est «bousillé sur les terrains de foot», il s'est tourné vers la course à pied, enchaînant les courses populaires, jusqu'à boucler cinq fois de suite Sierre-Zinal et à disputer cinq marathons, terminés autour des 4h de course. Après un crochet vers le trail puis la Patrouille des Glaciers, il a découvert le triathlon grâce à son frère et là encore, a franchi patiemment toutes les étapes: épreuves sprint, puis triathlon olympique, puis semi-Ironman.
Une quête spirituelle
Sa blessure au genou gauche, contractée malgré ses précautions, le décide à franchir le pas. Il passe l'hiver à faire du renforcement musculaire et change ses habitudes alimentaires, privilégiant notamment les petit-déjeuners salés. Sa silhouette s'affine et, en conséquence, son genou droit le laisse en paix.
Au printemps, il sort son vélo et enfile ses baskets. Lors de ses entraînements, il commence par le cyclisme et finit par la course à pied. «Ce petit échauffement à vélo me permettait de mettre un peu d'huile dans les rouages, et de ne pas solliciter mes articulations à froid.»
Mais c'est surtout mentalement que le Biennois de naissance progresse le plus. Il raconte un cheminement intellectuel, presque une quête spirituelle.
Deux mésaventures
Après plusieurs mois d'entraînement, le Romand remporte sa première victoire: se présenter au départ de l'Ironman sur la plage de Cervia. L'émotion est palpable, mais ne l'inhibe pas. Pour preuve, il réussit parfaitement sa partie natation. «Je n'avais jamais été aussi rapide dans l'eau, et je crois savoir pourquoi ça a aussi bien marché: j'étais relax, serein. J'avais réussi ma préparation et n'avais plus rien à prouver à personne. Or quand tu es relâché, dans un sport aussi technique que la natation, je pense que tu glisses mieux dans l'eau.»
La partie vélo est bien plus compliquée. Alain Rohrbach subit un coup de pompe, au sens figuré d'abord (la chaleur écrase les cyclistes) puis propre, puisque deux crevaisons lui font perdre 40 minutes.
La journée se transforme en procession infernale lors du marathon. Alain Rohrbach «dévisse» (c'est son terme) à 14 kilomètres de l'arrivée. «J'ai vomi mes tripes, mon corps tremblait et ma tête tournait.» Les triathlètes entendent au loin les sirènes des ambulances appelées pour recueillir les participants «qui tombent comme des mouches»: sur les 3000 sportifs au départ, 2211 seulement seront classés (26% d'abandons).
Alain Rohrbach sait que c'est à ce moment-là qu'il doit choisir dans quelle catégorie il sera rangé: celle des finishers, ou celle des forfaits? Il s'arrête sur un banc et boit un peu de soda, le temps de reprendre ses esprits et de rassembler les quelques forces qui lui restent. Il repart, mais puisque ses jambes ne le portent plus comme avant et qu'il ressent «des coups de couteau dans l'estomac», décide de marcher.
Il pense s'arrêter à 10 km de la ligne d'arrivée mais croise le regard de sa compagne et y trouve de quoi le persuader d'aller au bout, malgré la douleur, la fatigue, les hallucinations et la nuit qui tombe sur la côte Adriatique.
«J'ai terminé avec deux mecs aussi fracassés que moi, un Italien et un Américain, avec lesquels on s'est raconté nos vies dans les derniers kilomètres», décrit-il, amusé par la situation.
Alain Rohrbach imaginait finir son épopée en 14h (2h de natation, 6h de vélo et 6h de course) mais c'est après un peu moins de 15h qu'il franchit la ligne, ce qui est tout de même bien avant l'heure limite fixée aux participants (16h30). Son frère Yann le rejoint quelques minutes plus tard, ce qui donne au moment une saveur encore plus particulière.
Lorsqu'il se tourne vers tout le parcours accompli, Alain Rohrbach évoque «un chemin de 12 mois jonché de découverte, de rencontres, de résilience. Une école de la vie qui m’a transformé mentalement, physiologiquement et physiquement. Le succès, c’était d’être au départ en pleine forme; le cadeau, c’est d’avoir franchi la ligne; le bonus, d’avoir partagé cette épreuve avec mon frère.»
Il ajoute enfin ces quelques mots, qui étaient aussi ceux d'Inoxtag, et qu'Alain Rohrbach a pris à son compte pour accomplir le plus bel exploit de sa vie de sportif: «Tout est possible!»
