C'est un secret de polichinelle: les entraîneurs usent de petites méthodes pour faire gagner leurs poulains. Dans un combat tactique et psychologique, chaque nouvelle manche est une manière de faire chuter les rivaux.
Dans les épreuves techniques, les petites manœuvres pour battre l'autre se passent souvent sur le piquetage du parcours. Loin des tracés à la Ante Kostelic (le slalom de Sotchi aux JO de 2014, par exemple), coutumier du fait pour vous pondre des slaloms venus de l'espace, les traceurs de chaque nation tentent de jouer leur va-tout pour placer leurs athlètes au sommet.
Et la discipline du géant devient l'un de ces hubs créatifs pour stopper la domination sans partage de l'ogre Marco Odermatt. A force de cannibaliser la discipline à la manière d'un Tadej Pogacar en cyclisme, les nations fortes (Norvège, Autriche, Italie) sont chagrines de récupérer les miettes laissées par le leader suisse.
Pour faire vaciller le funambule de Nidwald, inutile de lui empoisonner son Ovomaltine, ou son RedBull (sponsor oblige), ou encore inventer une nouvelle technique. Non, il faut lui proposer un géant racé pour les techniciens.
Pour répondre à cette affirmation, il faut s'intéresser à la première manche de Schladming: «Il était dans le jus», nous glisse ce même coach. «Odi» a égaré plus 90 centièmes sur Loïc Meillard, meilleur temps de la manche.
Les Norvégiens avaient pondu un tracé tournant sur la piste Planai. Marco Odermatt terminait alors 12e à mi-parcours. En deuxième manche, c'est le coup de griffe du Suisse, qui s'exprime à merveille alors que la neige mouillée collait au verre des lunettes.
Une renaissance sur le second passage pour le meilleur géantiste du monde, qui a pu arracher un podium (3e) au forceps à l'addition des deux manches. Le Nidwaldien peut remercier le coach autrichien d'Alexis Pinturault, Martin Sprenger, qui «trace souvent facile» pour «les géantistes typés descendeurs».
A Adelboden, là aussi «Odi» ne pouvait pas exploiter pleinement ses qualités de fonceur lors d'un premier run tournant. En première manche, il était largué (à 76 centièmes de Meillard) juste avant la plongée dans le mur final. Piqueter très direct sur cette dernière portion, Marco Odermatt s'est alors régalé en collant une demi-seconde à tout le monde.
C'est simple, quand il s'agit d'aller chercher la ligne de pente, il est intouchable, capable de mettre ses planches à plat pour créer de la vitesse.
Or, ces parcours techniques, ce n'est pas vraiment dans les plans de la Coupe du monde masculine. Il est rare de voir un géant comme celui de Lenzerheide, par exemple, lors des finales de 2021.
Pour rappel, le coach de Kristoffersen avait dessiné un parcours «de peau de phoque», s'emportait Justin Murisier, remonté comme un coucou après sa dégringolade sur le deuxième parcours. Et de se plaindre qu'il n'était «pas possible de tourner les skis». Marco Odermatt perdait d'ailleurs le général au détriment d'Alexis Pinturault, et bouclait ce géant à la 11e place.
Mais on parle d'une (quasi) anomalie, car le spectacle doit être au rendez-vous.
Mais nous ne sommes pas à l'abri d'une petite variante. Au moment de sortir la perceuse pour créer un parcours, les entraîneurs-traceurs peuvent se muer en troubles-fêtes. «Ils savent assez maintenant», nous glisse un entraîneur, en évoquant le cas Odermatt. Ils connaissent leurs classiques, ils savent appuyer là où ça fait mal, à condition d'avoir dans leur jeu un athlète capable de briller sur ces parcours casse-pattes. A voir comment les Autrichiens vont manoeuvrer en traçant la première manche du géant des Mondiaux, vendredi 14 février. Mais la deuxième, ce sont les Suisses qui seront les architectes et là, pas de surprise pour «Odi».