Et quand les Jeux olympiques auront-ils lieu sur la lune? L'attribution de grands événements sportifs devient de plus en plus bizarre. Les JO d'hiver 2014 étaient déjà plus que douteux. Ne serait-ce que parce qu'aucune infrastructure n'était sur pied à Sotchi, en Russie, et que des habitants avaient été expropriés. Et puis il y a eu les Jeux décadents de 2022 à Pékin. Et bientôt la Coupe du monde de football au Qatar.
C'est donc actuellement à la mode d'attribuer des méga-événements sportifs à des endroits improbables. L'attribution la plus récente constitue le sommet de cette absurdité: des Jeux asiatiques d'hiver en Arabie saoudite en 2029.
It’s official… #TROJENA will host the 9th #AsianWinterGames in 2029.
— TROJENA (@NEOMTROJENA) October 4, 2022
From our world-class, cutting-edge mountain destination, we plan to put on the competition’s best event yet. Will you be attending?#TROJENA2029 #NEOM pic.twitter.com/NGydJxpNys
Après tout, on pourrait se dire que cette histoire ne concerne que l'Asie. En fait, pas tout à fait: les personnes dans le Golfe arabique qui ont intérêt à développer les sports d'hiver dans leurs pays sont les mêmes qui exercent une forte influence sur le Comité international olympique (CIO). Autrement dit, ce sont celles qui ont permis à l'Allemand Thomas Bach de devenir président du CIO. Celles, aussi, dont le pouvoir dans le sport ne cesse de grandir parce que leurs pays et leurs dirigeants mettent des moyens illimités à leur disposition.
Manchester City? Appartient à la famille régnante d'Abu Dhabi. Le Paris Saint Germain? Alimenté par le fonds souverain du Qatar. Newcastle United? La possession d'un fonds saoudien dont la puissance financière est estimée à 400 milliards d'euros. La Formule 1? S'arrête aussi bien au Qatar qu'en Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis. Et les meilleurs athlètes du monde en athlétisme, cyclisme, tennis et natation ont aussi souvent des compétitions au Qatar.
La péninsule arabique est le théâtre d'une course folle aux stars, aux événements et au pouvoir dans le sport international. Pourquoi? Parce que le sport est un vecteur de relations publiques optimal qui permet, croit-on, de gommer tout ce qui est dénoncé en Occident, comme les droits de l'homme, la liberté d'expression ou le rôle actif dans une guerre (l'Arabie saoudite au Yémen). Mais le sport sert aussi à envoyer un signal à l'Occident: «Regardez, nous ne sommes pas si différents.» Ou encore : «Ce que vous savez faire, nous pouvons le faire encore mieux.» En d'autres termes: un mélange d'intimidation et d'amadouement.
Dans ce softpower par le sport, l'Arabie saoudite a un peu de retard à rattraper, notamment par rapport au Qatar. Les dirigeants de Riyad ont reconnu relativement tard la force politique du sport. Du coup, ils ont commencé à dépenser des sommes folles. Par exemple pour appâter Tiger Woods pour une série de golf. L'Américain aurait reçu une offre de 700 millions de dollars.
Mais on n'obtient pas toujours ce que l'on veut. Même en Arabie saoudite. Woods a refusé. Et le projet de Super League internationale de football, qui aurait dû être financé par des fonds saoudiens, n'est pas encore devenu réalité.
Mais l'Arabie saoudite a donc obtenu les Jeux d'hiver asiatiques. Autre preuve de cette absurdité: c'est seulement cette année que son premier représentant a participé à des JO hivernaux, lors du slalom géant à Pékin. Peu importe: ce que l'on n'a pas, on peut se le procurer. Telle est la mentalité dans le Golfe.
مرحباً بكم في: #تروجينا2029 🇸🇦❄️
— Saudi Olympic & Paralympic Committee (@saudiolympic) October 4, 2022
الوجهة الأمثل، لدورة الألعاب الآسيوية الشتوية 😍#نيوم pic.twitter.com/teNS15uODP
Et en Arabie saoudite, l'approvisionnement fonctionne à plein régime. Le royaume a commencé à construire le prestigieux projet Neom: une mégalopole de 170 kilomètres de long pour près de dix millions de personnes. Et à une cinquantaine de kilomètres de là se dressera le complexe de Trojena, au pied des montagnes Sarawat, qui culminent à 2400 mètres d'altitude.
Le climat y est archi-sec, il n'y a pas de neige et le thermomètre ne descend guère en dessous de huit degrés. Mais on promet de «créer une atmosphère hivernale au cœur du désert» d'ici 2029 au plus tard. Et c'est même probable que les Saoudiens y parviennent, notamment avec de la neige artificielle.
On peut pester longtemps contre l'instrumentalisation du sport de la part des pays du Golfe, de leurs régimes totalitaires et de leur absence de droits humains. Mais on doit aussi constater que c'est maintenant, alors que les matières premières se font rares chez nous, que de nombreux politiciens occidentaux se présentent en quémandeurs auprès de leurs homologues pourtant considérés comme des voyous. En Occident, on a raté l'occasion de s'émanciper de ces régimes.
Adaptation en français: Yoann Graber