Janja Garnbret n'est pas passée inaperçue, cet été aux Européens d'escalade. D'abord parce que la Slovène de 23 ans y a remporté trois titres; ensuite parce qu'elle a réussi ses exploits avec deux logos sur sa peau (un sur chaque omoplate).
À première vue, il s'agit du genre de tatouage éphémère que l'on faisait, enfant, après avoir ouvert l'emballage de son chewing-gum. Et bien, c'est exactement de cela dont il est question ici; sauf que Janja Garnbret n'a pas de licorne ou d'arc-en-ciel, mais les taureaux rouges de son sponsor.
«C'est le même principe que les tatouages que l'on faisait quand on était gamin: on enlève le papier, on colle le motif sur la peau, on met de l'eau et le tour est joué», nous dit Sébastien Chevallier, un ancien beachvolleyeur suisse qui mettait ses épaules aux enchères avant chaque compétition. «Certains sponsors ne payaient pas assez pour figurer sur notre casquette. Du coup, je leur proposais le tatouage. Cela me permettait de gagner un peu d'argent supplémentaire.»
La plupart des sportifs de haut niveau vivent péniblement, les voyages et l'encadrement coûtent cher, si bien que chaque contrat de sponsoring signé s'apparente à une victoire. Dans ce contexte, comment expliquer que les athlètes courts vêtus ne mettent pas davantage leurs bras, leurs épaules ou leurs cuisses à disposition des marques? Pourquoi des beachvolleyeurs, des stars de l'athlétisme ou du plongeon, des vedettes de l'escalade exploitent-ils leur corps dans un but de rendement uniquement sportif et jamais financier?
Jean-Pierre Seppey s'attend à ce que les choses changent. «On observe de plus en plus de tatouages dans notre société. La peau deviendra un support naturel pour la publicité, annonce cet ancien membre dirigeant de la Fédération internationale et «père »du beach-volley olympique. Surtout que la télévision a pris l'habitude de faire des ralentis et des gros plans sur les corps en mouvement. Les muscles des athlètes sont très représentés à l'écran, ils sont un vecteur de pub extraordinaire. Et le seront de plus en plus, vous verrez.»
Le plongeur de haut vol Jean-David Duval en est lui aussi persuadé. «Certains spécialistes de la discipline ont tatoué leurs sponsors et ça marche super bien, assure le Genevois. J'ai d'ailleurs monté un dossier sponsoring cet été et c'est une offre que je propose. L'idée serait de demander entre 2000 et 3000 francs par tatouage et par saison.»
D'un point de vue purement logistique, ce type d'offre ne comporte que des avantages. «Imprimer» un logo sur sa peau est facile et rapide. Expérience faite, Sébastien Chevallier explique que «si tu as plusieurs matchs durant la même journée, tu te colles le tatoo le matin et tu n'as plus trop besoin d'y penser ensuite. Certains tenaient même deux, voire trois jours.» Ils étaient commandés puis livrés au domicile de l'athlète, qui les emportait en voyage avec lui.
Et puis, «le côté éphémère des tatouages offre aux sportifs une flexibilité dans le sponsoring», songe Laurent Meuwly. Le coach d'athlétisme étaie sa réflexion:
Sa démocratisation pourrait être accélérée par l'assouplissement des règles dictées par les grandes compétitions en matière de sponsoring individuel. «Jusqu'à récemment en Diamond League, tu n'avais pas le droit d'avoir sur ton maillot un autre sponsor que ton équipementier. Tu peux désormais en avoir deux de plus, renseigne Laurent Meuwly. Les organisateurs se rendent compte qu'ils n'arrivent pas à augmenter leur «prize money», et à offrir des conditions financières décentes à des athlètes qui doivent gagner leur vie d'une manière ou d'une autre.» World Athletics a aussi revu ses exigences: les athlètes engagés aux Mondiaux peuvent désormais arborer un logo sur le maillot de leur Fédération nationale.
Il subsiste toutefois des réticences. C'est un entraîneur d'escalade qui les exprime. Il ne veut pas que son nom apparaisse; mais ses idées, oui. «Considérer le corps comme un outil de travail à rendre productif financièrement est une vision des choses. La mienne, plus humaniste, consiste à rappeler que dans ce corps, il y a une âme. Un être humain avec une conscience. C'est cet aspect que je privilégie à l'entraînement.»
Le coach estime que le fait de «se tatouer des sponsors pourrait porter atteinte à l'intégrité du sportif, aller un peu loin (trop loin?) dans son intimité». Il résume:
Et s'inquiète «pour tous ces athlètes qui ont déjà le sentiment d'être exploités et de devoir se mettre à nus constamment sur les réseaux sociaux pour faire plaisir à leurs sponsors.»
Sébastien Chevallier a-t-il été dérangé par les injonctions de ses sponsors tatoués sur la peau? «Pas du tout, assure-t-il. Notre job, c'est de nous vendre pour financer notre vie sur le circuit.»
Laurent Meuwly est lui aussi «plutôt favorable» à une nouvelle manière de séduire les partenaires et donc «d'améliorer la situation des sportifs, dans un sport comme l'athlétisme, où il est difficile de gagner beaucoup d'argent quand on ne fait pas partie des meilleurs». Mais il se demande tout de même si une généralisation de la pratique ne nuirait pas aux précurseurs.
C'est le bon moment, peut-être le dernier, pour profiter d'un espace publicitaire qui saute aux yeux. Surtout quand on est aussi doué que Janja Garnbret.