Samedi à Cologne, la Nati jouera plus près de ses frontières que son adversaire hongrois. Mais elle n'est pas favorite en ce qui concerne le match dans les tribunes. Car, même si les Helvètes pourront certainement compter sur de nombreux supporters, ils devront faire face à la redoutable Carpathian Brigade, un groupe ultra aussi bruyant que sulfureux, qui draine des milliers d'adeptes.
Qui suit un peu le football a déjà vu ces fervents fans hongrois, qui ont animé les rues des villes françaises lors de l'Euro 2016 avec leurs impressionnants cortèges ou les stades de l'édition 2021, chez eux à Budapest, notamment. Ces dizaines d'ultras sont facilement reconnaissables: toujours vêtus de noir, regroupés debout derrière le but et leur bâche, ils encouragent leur équipe durant toute la rencontre. Et ce de manière spectaculaire, à l'aide de chants coordonnés, tifos et autres fumigènes ou drapeaux.
Avec leurs homologues croates, polonais, bosniens ou roumains, ils font partie des rares groupes ultras à soutenir une sélection. Un phénomène propre à l'Europe de l'Est, où l'union sacrée est décrétée entre les fidèles des clubs rivaux lors des trêves internationales, qui se rassemblent sous une bannière commune. «Pour éviter les incidents, un traité a été conclu, de sorte à faire primer l’équipe nationale», analyse pour So Foot Sébastien Louis, historien spécialiste du mouvement ultra.
Les amateurs de géographie auront relevé la particularité du nom de ce collectif fondé en 2009: la chaîne montagneuse des Carpates, auquel il se réfère, ne couvre que 4% du territoire hongrois. Alors non, il ne s'agit pas de lacunes de culture générale chez les membres de la Carpathian Brigade. Au contraire, ceux-ci présentent un fort intérêt pour l'Histoire, en tout cas nationale.
Bien que totalement indépendant du gouvernement et du parti au pouvoir – le Fidesz, auquel appartient le premier ministre Viktor Orban –, le groupe démontre la même fibre nationaliste et conservatrice que ceux-ci. Il partage avec eux l'obsession de rétablir une «Grande Hongrie», amputée de deux tiers de ses territoires (et de sa population) au Traité de Trianon, en 1920, après la défaite lors de la Première Guerre mondiale.
Parmi eux, les Carpates, aujourd'hui en grande partie roumaines. Ainsi, sans pour autant avoir d'étiquette politique, la Carpathian Brigade exhibe des symboles nationaux et commémore des personnages et événements marquants de l'histoire hongroise.
Selon Szabó Balázs, journaliste spécialiste des fans magyars interrogé par Le Monde, cette Brigade à l'idéologie belliqueuse est «un collectif très fermé. Ceux qui sont actifs sont une cinquantaine, puis cent cinquante personnes font partie d’un deuxième cercle».
Mais s'ils ont de quoi effrayer les fans adverses à cause de leur nom, leur dégaine et leur doctrine, ses membres jouissent d'une bonne image au pays. Déjà parce qu'ils soutiennent vigoureusement et activement l'équipe nationale (et pas qu'en football), mais également grâce à leurs actions caritatives, comme par exemple pendant le Covid-19 quand ils ont récolté des fonds pour le personnel soignant.
Pas étonnant, donc, de voir des milliers de supporters de la Nemzeti Tizenegy se joindre à eux dans les rues et les stades pour mettre l'ambiance. «Aujourd’hui, ils sont capables de mobiliser des milliers de personnes, jusqu’à 30'000 lors de l’Euro 2016 en France», appuie Sébastien Louis dans So Foot.
Et parfois, ça tourne au vinaigre. Un exemple? Le déplacement de 2013 à Bucarest, pour affronter le grand rival, la Roumanie, en qualifs du Mondial 2014. «La Carpathian Brigade laisse la trace souhaitée dans la vieille ville: chants xénophobes et insultants ("Nous broyons tous les bébés roumains"), mais aussi irrédentistes et expansionnistes, combats de coqs avec les forces de l’ordre et terrasses réduites en pièces», liste So Foot.
Néanmoins, selon Szabó Balázs, l'expert des supporters magyars, ces tristes actes ne sont pas l'œuvre des membres de la Brigade mais de leurs suiveurs ponctuels. «Si vous voyez des incidents, vous pouvez être sûr qu’ils ne sont pas de leur fait, mais bien des hooligans des clubs hongrois comme ceux de Ferencvaros ou d’Ujpest», s'avance-t-il.
Heureusement, la Carpathian Brigade et leurs acolytes n'ont pas de visée sur les Alpes. Les Suisses et leurs bébés devraient donc être tranquilles samedi, même si leurs oreilles risquent de siffler dans le RheinEnergieStadion de Cologne.