Nous sommes au milieu des années 90: la Suisse sort enfin la tête de l'eau. Après 28 années sans tournoi majeur, elle vient tout juste de prendre part à la Coupe du monde 1994. Une participation acquise en battant notamment la grande Italie 1-0 à Berne, précieux succès ayant permis de devancer le Portugal lors des éliminatoires.
Aux Etats-Unis, les hommes de Roy Hodgson réussirent un parcours honorable, deuxièmes de leur poule et éliminés par l'Espagne au stade des huitièmes de finale.
Ils ont désormais entamé les qualifications pour l'Euro 96, et ce, de la meilleure des façons, c'est-à-dire avec une victoire 4-2 à domicile contre la Suède, troisième de la dernière Coupe du monde.
Les «petits Suisses», emmenés par Alain Geiger et Stéphane Chapuisat, gagnent leurs galons: ils deviennent respectés et sont pris au sérieux. La confiance sur le terrain est telle, qu'au match retour en Suède, le 6 septembre 1995, la Nati adresse un message politique à la France et à son président Jacques Chirac, élu à peine depuis quelques mois.
Durant l'hymne national, les joueurs déploient une banderole préparée par un membre du staff et apportée discrètement sur la pelouse par Alain Sutter. «Stop it Chirac», est-il écrit dessus. Prise à revers, l'UEFA reste passive et n'intervient pas pour retirer la bannière. Totalement impensable aujourd'hui.
Le message fait écho à la décision de Jacques Chirac de relancer les essais nucléaires français dans le Pacifique, à une période où les puissances mondiales cessent cette pratique. A l'international, le choix de la France provoque de vives critiques.
Chirac s'en contrefiche. Il affirme vouloir garantir la «sûreté, la sécurité et la fiabilité» de la force de dissuasion française. Deux jours après le match Suède-Suisse, soit le 8 septembre, Paris fait détonner l’équivalent de 8 000 tonnes de TNT sur l’atoll de Mururoa. Cinq autres essais suivront dans la région jusqu’en 1996.
Mais revenons au football et à l'action des joueurs de la Nati, relayée par les télévisions du monde entier et largement commentée en Suisse lors du retour de la sélection à Zurich. Alain Sutter, l'un des initiateurs du projet, assure qu'il s'agit d'un geste impliquant toute l'équipe, ce que contestent l'Association suisse de football (ASF) et certains joueurs, notamment le capitaine Alain Geiger, agacé par la situation.
Finalement, aucune sanction ne sera infligée à l’ASF, qui recevra seulement un blâme de la part de l'UEFA, tout comme la fédération suédoise, pour une toute autre raison: lors de ce même match, elle permit au Parti radical d'acquérir de la publicité en bord de terrain, cela à quelques jours des premières élections européennes dans le pays.
Ce 6 septembre 1995, Suédois et Suisses se quittèrent sur un score de 0-0, un résultat assurant quasiment à la Nati sa qualification pour le Championnat d’Europe 1996. Le billet sera validé un mois plus tard, après que la Suisse eut terminé en tête de son groupe. L’aventure, l’été suivant, tournera malheureusement court: opposés à l’Angleterre, aux Pays-Bas et à l’Ecosse, les coéquipiers d’Alain Geiger termineront derniers de leur groupe.