Ludovic Gremaud aura à nouveau un sifflet sur lui dès ce samedi. Mais pour cet ancien arbitre de Super League, l'objet a, cette fois, une tout autre fonction: il fait partie de la liste du matériel obligatoire imposé à tous les participants de la course Crossing Switzerland 390. Ceux-ci peuvent l'utiliser en cas de détresse. Parce que, oui, cette épreuve de trail a un côté terrifiant.
Comme son nom l'indique, elle se dispute sur 390 kilomètres tout le long de la partie suisse de la Via Alpina, de Vaduz à Montreux en passant par les montagnes. Les courageux et courageuses ont droit à un délai de 184 heures, soit sept jours et demi, pour relier la capitale liechtensteinoise à la ville vaudoise.
Autrement dit: ils doivent parcourir en moyenne plus de 50 kilomètres quotidiennement, le tout sur des terrains escarpés et dans des conditions potentiellement très difficiles. «On peut avoir la canicule ou, au contraire, le froid. Certains endroits peuvent encore être enneigés. Et quand il faut courir de nuit, à la lampe frontale, les sentiers ont de quoi devenir compliqués techniquement, il y a un risque d'accident», anticipe Ludovic Gremaud. Or, les efforts demandés peuvent altérer la lucidité:
Les premiers auront à peine le temps de lever la tête pour contempler ces superbes paysages alpins qui s'enchaînent: le lac des Quatre-Cantons, la face nord de l'Eiger, Gstaad, le Pays-d'Enhaut vaudois ou encore la descente finale sur le Léman.
Le résident d'Ecoteaux (VD) devrait, lui, pouvoir quand même savourer un minimum ces décors de carte postale: son objectif n'est pas la victoire finale, promise aux pros, mais bien de franchir la ligne d'arrivée dans les délais.
Même s'il ne vise pas la gagne, Ludovic Gremaud est un sportif accompli, condition sine qua non pour tenter de relever ce défi fou. Depuis qu'il a rangé son sifflet en 2012, il n'a pas pris un kilo. Et pour cause: cet ancien crack du ski de fond (il a fait partie du cadre romand junior) a toujours été un mordu de sports d'endurance, qu'il pratique cinq fois par semaine. Ski de randonnée, gravel, cardio en salle, course à pied: il alterne les plaisirs (ou les souffrances, c'est selon), même s'il a une préférence pour la course à pied.
«L'arbitrage en football m'a aussi aidé physiquement, mais il m'a surtout donné une rigueur d'entraînement», observe-t-il. Et il lui en a fallu pour se préparer spécifiquement, pendant une année entière, pour le défi qu'il s'apprête à relever. Y compris lors de ses sorties de repérage du parcours, parfois sur plusieurs jours. Mais il prévient:
Alors, ce papa de deux jeunes garçons de 5 et 3 ans a tout prévu. Dans les moindres détails. Au fil de ses entraînements, il a testé plusieurs chaussures, boissons ou aliments pour savoir ce qui lui convenait le mieux. Il est même passé chez sa podologue pour préparer ses pieds et leur applique des crèmes pour créer de la corne, histoire d'éviter, justement, ces satanées cloques.
Si la Crossing Switzerland 390 est avant tout un défi physique, il est impossible à accomplir sans la tête. Déjà, parce qu'il faut réfléchir. «On peut se tromper dans le parcours, ce qui nous rajoute des kilomètres», avertit Ludovic Gremaud.
Mais surtout, un mental d'acier est indispensable pour encaisser la douleur et ne pas céder dès les premiers désirs d'abandon. «Tout au long du parcours, il n'y a que six postes couverts, de type salle de gym, où l'on peut se ravitailler, soigner les bobos et dormir un peu, dans un sac de couchage posé sur un tapis. Ce n'est pas du grand luxe!», rigole celui qui est désormais professeur à la Haute école d'ingénierie et d'architecture de Fribourg.
Mais dans ces moments difficiles, il bénéficiera d'une aide précieuse: le souvenir de la raison pour laquelle il a décidé de partir à l'assaut de ce challenge. Ludovic Gremaud courra pour l'association Action Margaux, du nom de sa cousine tragiquement décédée en 2018.
Cette jeune femme de 30 ans a perdu la vie après une lutte contre le cancer. D'abord forcée d'abandonner son emploi à cause de sa maladie et des traitements, elle avait pu combler son souhait de retrouver un travail, qu'elle a exercé jusqu'à son décès. Depuis, Action Margaux se bat pour l'employabilité des personnes atteintes du cancer, en les aidant à garder leur job ou à en trouver un nouveau. «C'est certain, y penser me permettra de m'accrocher dans les passages plus durs», promet l'ancien arbitre.
Il propose sur son site internet (pour y accéder, cliquez ici) un parrainage, où chacun peut fixer un montant offert par kilomètre effectué. Tout l'argent sera reversé à l'association.
Ludovic Gremaud ne nous l'a pas dit, mais l'arbitrage lui a offert encore au moins deux très belles qualités: le courage et le sens de la justice.