On pourrait penser que les sportifs de haut niveau ont la faculté de très vite oublier un épisode douloureux vécu sur le terrain, qu'ils y sont mieux armés, soit parce que les matchs s'enchaînent et que le prochain objectif arrive très vite, soit parce qu'une autre compétition débute, quand ce n'est pas une saison. Mais ce que nous apprend Dika Mem, c'est que ce n'est pas aussi simple. Le handballeur français parle d'expérience: une simple passe ratée continue à le poursuivre près de trois mois après.
Son malheur n'est pas d'avoir perdu le ballon à six secondes de la fin, le 7 août dernier en quart de finale du tournoi olympique, mais c'est ce que son erreur de jugement a provoqué, car l'Allemagne a égalisé dans la foulée avant de se qualifier en prolongations (35-34).
Depuis cette date, Dika Mem a pris de longues vacances au Brésil, il porte désormais un autre maillot (Barcelone) et y dispute d'autres compétitions, mais cette action avec les Bleus continue de le poursuivre. Pour preuve, peu avant son match de Ligue des champions contre Nantes jeudi, L'Equipe a contacté le gaucher pour revenir longuement sur «l'action fatale» des Jeux Olympiques.
Le média a très bien fait, car quand un protagoniste est capable d'analyser le tournant d'un match avec du recul, il est forcément passionnant. Et c'est le cas de Dika Mem, qui nous dit beaucoup de choses dans cet entretien, notamment ceci:
Le gaucher exagère volontairement l'expression pour mettre son idée en relief (c'est une figure de style que l'on appelle «hyperbole»). Il est peu probable qu'il ait visionné 50'000 fois les trois secondes durant lesquelles il a perdu le ballon, à moins de l'imaginer passer 42 heures devant un écran. S'il nous donne ce chiffre, c'est dans le but d'expliquer à quel point il a été confronté aux images de son erreur, notamment sur les réseaux sociaux, où la séquence a tourné en boucle, et l'a renvoyé à chaque fois qu'il se connectait à son erreur de jugement face à l'Allemagne.
C'est la rançon des sportifs de haut niveau et Dika Mem le sait très bien. Les réseaux sociaux peuvent grossir et déformer une action, agissant alors comme une loupe: les réussites y sont célébrées avec la même intensité (et parfois démesure) que les erreurs sont pointées du doigt.
On peut dès lors penser que les sportifs «coupables» d'une grossière erreur ont deux étapes à franchir pour retrouver un peu de sérénité: la première est un travail personnel pour digérer ce qu'ils viennent de vivre, la seconde consiste à accepter que leur faute soit partagée et commentée sur les réseaux sociaux, c'est-à-dire qu'elle les poursuive souvent au-delà du prochain match ou de la prochaine compétition.
Il faut être fort dans la tête pour franchir ces deux étapes mais Dika Mem l'est. «Je pense avoir réussi à passer au-dessus de ça», estime-t-il dans L'Equipe, et quand il parle de «ça», il pense aussi à tous les messages de haine qui sont apparus sur les réseaux sociaux, là où la vidéo de son erreur circulait, comme une sorte de double peine. «Je ne peux pas dire que je n'ai pas vu les messages, mais ça ne m'atteint pas, c'est quelque chose auquel je suis préparé. Ce n'est pas la première fois qu'on m'envoie des insultes ou des trucs racistes.»
Jeudi soir contre Nantes, Dika Mem a été le meilleur marqueur de son équipe (9 réussites), qui n'a pas perdu (31-31). Le joueur de Barcelone est retourné en Espagne avec un autre souvenir de la France, effaçant un peu plus le douloureux échec olympique de son esprit, mais peut-être pas encore de la mémoire collective.