Martial et son collègue circulent sur les rampes du Tourmalet dans un minibus blanc lorsque le chauffeur pile sur les freins et pointe du doigt une inscription sur la route. «Là, un sexe», lance-t-il avant de serrer le frein à main et de s'armer d'un pot de peinture blanche.
D'un geste sûr, il commence par dessiner un cercle autour de la verge afin de faire les ailes, puis deux traits sur les bourses pour les yeux. «Occupe-toi des pattes», dit-il à Martial, qui blanchit l'asphalte au niveau du gland. Le résultat est «une sorte de petit hibou» (selon les auteurs) visant à masquer la kékette initialement dessinée par les fans, et que les organisateurs ne voudraient surtout pas voir diffusée dans les pays du monde entier lors de la retransmission de la course en direct.
Les deux hommes reprennent ensuite la route du Tour à bord de leur camionnette blanche en quête d'autres inscriptions douteuses. Il y a parfois des messages racistes ou politiques, mais ce sont surtout les kékettes XXL qui défilent sous leurs yeux. Il ne leur faut d'ailleurs pas longtemps avant de s'arrêter à nouveau devant une immense verge. «Quatre à la suite sur 5 kilomètres», fait remarquer le plus âgé des deux, fataliste.
Quand ils circulent ensemble, les deux hommes ne disent plus comme nous: «Ah, tiens, une priorité de droite». Ou alors: «Oh, un stop». Non, eux, ce sont plutôt des phrases du genre: «Roh, encore une bite».
A chaque fois, c'est la même histoire: frein à main, pot de peinture, les ailes, les yeux, les pattes.
Les téléspectateurs qui suivent le Tour de France sans connaître le travail de ces hommes de l'ombre doivent se dire que la France tient les rapaces nocturnes en haute estime tant ils sont souvent représentés sur les routes.
Leur métier est difficile à définir. «Effaceur de pénis»? «Chasseur de gaules?» «Equipier logistique»? Ce sont surtout des artistes. La preuve: des employés de la société Doublet, mandatée par ASO (organisateur du Tour) pour surveiller l'état des routes, possèdent une feuille sur laquelle ils ont imaginé une sorte de bestiaire avec pour base un sexe d'homme. «Un poisson, c'est possible. Ou une sorte de grenouille», explique un «effaceur» dans un reportage de France 3, carnet de croquis à l'appui.
Un de ses collègues y met un peu de couleur et beaucoup de poésie. En quelques minutes, la verge devient libellule.
«Il faut avoir un peu d'imagination», reconnaît avec une pointe de fierté Patrick Dancoisne, chargé de mission depuis 9 ans par la société Doublet.
L'histoire ne dit pas ce qui pousse une partie du public à peinturer frénétiquement des zizis sur l'asphalte. Un jour, un supporter a tout de même avoué qu'il en avait dessiné un pour savoir si les effaceurs étaient une légende, ou s'ils existaient vraiment. Bel hommage.
(jcz)
