Historiquement, le football a toujours cherché à conquérir de nouveaux territoires, ou plus vulgairement, de nouveaux marchés. Il n'y a rien d'étonnant à ce que la Fédération internationale de football association (Fifa) préfère organiser une Coupe du monde tous les deux ans (au lieu de quatre), avec la perspective d'augmenter ses profits et son exposition dans des proportions équivalentes. Ce raisonnement est valable pour une compétition de football comme pour n'importe quel salon agricole ou vente paroissiale. Mais devons-nous pour autant y adhérer?
La Fifa milite et a trouvé son prosélyte: l'idée est portée en son sein par le vénérable Arsène Wenger, 70 ans, propulsé à la tête du «Développement du football mondial». Petite surprise: quand il dirigeait Arsenal (22 ans de règne), l'entraîneur alsacien était le premier à stigmatiser les équipes nationales, notamment leurs doléances envers des joueurs qu'elles ne paient pas et dont elles exigent un investissement total, quel que soit leur état physique.
Surprise, dès lors, de le voir défendre l'intérêt supérieur des nations. Surprise, aussi, de le voir ajouter quatre semaines de compétition dans un calendrier saturé, alors que plusieurs techniciens (dont il était) mettent en garde contre le surmenage des joueurs.
🗣💬 Pour Guardiola, le calendrier est beaucoup trop exigent : "On demande trop aux joueurs. Plus que ce qu'ils ne peuvent en faire. Ce n'est pas compliqué à comprendre." pic.twitter.com/sJnnhM58eT
— RMC Sport (@RMCsport) October 26, 2020
Or l'idée générale de Wenger est bien plus large et généreuse qu'il n'y parait. Exposée aux journées de l'arbitrage La Poste (🤔), elle révèle une volonté mûrement réfléchie de, non pas défendre des privilèges, mais de changer l'arborescence du football international, toute l'arborescence, pour la rendre plus claire et fonctionnelle.
C'est sans aucun doute le volet le plus intéressant de la réforme: regrouper tous les matchs de qualification en fin de saison. Trois conséquences:
La refonte d'Arsène Wenger propose six matchs de qualification (au lieu de dix actuellement), plus un éventuel barrage (comme actuellement) sur la seule et même période de juin-juillet. Cette proposition tombe à pic: avec une Coupe du monde élargie à 32 équipes et un Euro à 24 participants, les qualifications ont perdu de leur sens, à tout le moins de leur suspens. Il est cohérent de leur accorder moins de place.
Autre effet positif:
Démonstration parfaite en ce mois d'octobre où, tandis que quatre équipes disputaient la Ligue des nations européennes, les autres tentaient de se qualifier pour une compétition prévue en décembre 2022 (la Coupe du monde au Qatar), avant laquelle ils seront en pleine campagne pour l'Euro 2024!
Arsène Wenger cite l'exemple du Paris Saint-Germain (PSG), probablement le plus extrême: pour la deuxième fois depuis la reprise du championnat, l'équipe parisienne sera privée samedi de toutes ses stars nord-américaines, rentrées trop tard (ou jet-laguées) de leur séjour en sélection.
Il y aurait un temps pour tout: un temps pour les clubs, un autre pour les équipes nationales. Sans allées et venues incessantes entre les deux.
Le projet n'oublie pas de flatter les goûts du consommateur, plus particulièrement le consommateur jeune, impatient et batifoleur, en lui proposant un pur concentré d'émotions (fin des exhibitions, tournées et autres matchs amicaux) sans en passer par des préliminaires ennuyeux (qualifications).
Statistiquement, aucun événement télévisuel au monde n'est aussi fédérateur qu'un Mondial de football. On ne peut pas nier un certain mépris de classe des clubistes, désignés comme des puristes, face aux supporters occasionnels, également appelés «footix», issus de la ferveur patriotique. Mais c'est une réalité indubitable qu'une Coupe du monde pénètre toutes les couches de la société et attire de nouveaux adhérents vers le football. Deux Coupes du monde encore plus.
La question la plus délicate est celle du prestige, liée à la redondance et à la banalisation du sacré. Un événement exceptionnel ne l'est plus dès lors qu'il se produit à intervalles réguliers.
La Ligue des nations est la preuve manifeste qu'une compétition sportive, à l'ère du consumérisme triomphant, tient moins son prestige de l'Histoire ancienne (voir la mort lente de la Coupe Davis de tennis) que de sa capacité à devenir une série moderne, par la qualité de ses acteurs, l'efficacité de son format et l'ampleur de ses rivalités.
Créée en 2018, la Ligue des nations fut d'abord accueillie comme un tournoi exhibition, un succédané de matchs amicaux, une sorte de bière sans alcool. Elle est déjà une compétition que les nations veulent gagner (voir la récente finale France - Espagne, d'une intensité rare) et que les joueurs veulent marquer (voir l'émotion de Karim Benzema avec le trophée ⬇️).
Avec une plage horaire qui lui serait entièrement dédiée chaque été, exactement comme le Tour de France, précédé d'un long sevrage comme tout événement rituel, le football des équipes nationales serait nettement mieux ancré dans les habitudes de l'époque. De la même façon qu'il ne serait plus une intrusion dans la vie des clubs.
Il fallait y penser, et surtout, bien l'expliquer.