Panini est une religion. Une religion mondiale avec de nombreux dieux. Des dieux du football, immortalisés dans des albums. Et les fidèles sont prêts à donner leur chemise pour obtenir les vignettes autocollantes de ces dieux.
Mais l'argent (et la dernière chemise) ne suffisent généralement pas à remplir l'album. Commence alors un troc passionnant – ou épuisant – jusqu'à ce que cette véritable bible soit au moins recouverte avec le visage des plus grandes stars. Après la Coupe du monde, elle finit généralement dans une cave poussiéreuse.
Cette dramaturgie n'est même pas exagérée. Ce qu'il se passe actuellement dans plusieurs pays d'Amérique du Sud, dont l'Argentine et le Brésil, le prouve.
En Amérique du Sud, immense passionnée de football, l'attente de la Coupe du monde est grande. Les magasins qui vendent des autocollants Panini en savent quelque chose. Problème: ils ne peuvent très souvent pas en vendre. La faute à un approvisionnement insuffisant au Brésil, en Argentine et en Uruguay, trois nations férues de ballon rond qui participeront au prochain Mondial.
A Panini criou um exército que só pensa em uma coisa: pic.twitter.com/FOINYVxg9A
— esposa da Ya 💍 (@Rijurfaleira) September 17, 2022
«Les gens sont désespérés. Je n'ai jamais vu ce qui se passe actuellement en Argentine», témoigne sur BBC Brasil Claudio Páez, propriétaire d'un kiosque à Buenos Aires depuis 30 ans. Un autre gérant d'un magasin de détail du pays confirme: le premier jour de vente officielle, il a vendu 12 000 paquets en seulement 60 minutes. Et pour voir des cartons pleins, il faut attendre: le réapprovisionnement ne se fait que par étapes.
La pénurie a plongé les enfants et les fans de football en pleine crise: ils se mettent en chasse et font la queue pour s'emparer des derniers paquets. Alors on assiste à des achats de masse, le but étant de faire des provisions. Des applications ont même été développées pour donner l'alerte dès que les magasins sont réapprovisionnés.
En plus de cette immense ferveur, une autre raison explique cette crise: les problèmes de livraison.
Rien qu'au Brésil, le bureau local de Panini aurait reçu plus de 400 plaintes pour des livraisons qui n'ont pas eu lieu, selon la BBC. L'entreprise argumente en expliquant qu'elle est confrontée à des problèmes logistiques.
Elle n'a pas encore réussi à résoudre le problème.
-Hay escasez.
— Juez Central (@Juezcentral) September 20, 2022
-Filas de varias cuadras.
-Sobreprecios de más del 60%.
-Se está limitando la cantidad a comprar/persona.
-El Gobierno citó a reunión de urgencia con las partes.
👇🏻
El panorama del mercado de figuritas del Album del Mundial Qatar 2022 en Argentina. pic.twitter.com/7W5lUeT4yX
Cette pénurie engendre un nouveau problème: la vente sur le marché noir. Comme le rapporte la BBC, les autocollants sont vendus sur des marchés non-officiels à des prix exorbitants.
En Argentine, le prix pour un paquet de cinq autocollants est habituellement de 150 pesos (environ 1 franc suisse). Mais certains vendeurs demandent le double, le triple ou même le sextuple du prix. De quoi se ruiner, quand on sait que l'album contient 670 vignettes. C'est d'autant plus vrai dans un pays qui est déjà durement touché par l'inflation.
Pedimos a @paninicromos que comercialice solamente a través de los kioscos y no pongan otros puntos de venta, nosotros somos los que le vendemos todas las figuritas de otras colecciones durante el año, y encima de eso lo quieren comercializar por otros canales. pic.twitter.com/z0e9AYgrAK
— Adrián Palacios (@AdrianUkra) August 26, 2022
Les médias locaux appellent donc la population à n'acheter des autocollants Panini que via les canaux officiels. Problème: dès que les kiosques et les détaillants sont réapprovisionnés, les Sud-Américains se ruent sur le stock.
Et les points de vente officiels ne reçoivent qu'entre 25 et 50 paquets par semaine, fait savoir le vice-président des kiosques. Autrement dit: beaucoup trop peu. Du coup, les panneaux «Panini en rupture de stock» sont refixés immédiatement sur les vitres des échoppes.
Résultat? La population est frustrée. «C'est démoralisant de ne pas trouver d'autocollants», se lamente un père argentin de trois enfants. Il précise que chaque jour, en rentrant chez lui, il doit consoler ses bambins parce qu'il n'a pas trouvé de vignettes.
Il n'est de loin pas le seul dans ce cas. La frustration des parents a déclenché quelques manifestations dans plusieurs villes d'Argentine. Ils ont exigé que les politiciens interviennent contre les prix excessifs et que les grandes nations du football ne soient pas désavantagées en matière de livraison.
Et ça commence à bouger un peu.
Les préoccupations des parents désespérés sont parvenues au ministère argentin de l'économie. Le gouvernement a rencontré mercredi des représentants des kiosques et des directeurs de l'entreprise Panini, histoire de trouver une solution. Les discussions n'ont pas encore abouti.
Comenzó la reunión para evaluar la situación del mercado de figuritas del Mundial. Desde @ComercioArg abrimos un canal de diálogo entre @ukraok y @PaniniArg, poniendo a disposición nuestros equipos legales y técnicos para colaborar en la búsqueda de posibles soluciones. pic.twitter.com/upeLAtg4cD
— Secretaría de Comercio (@ComercioArg) September 20, 2022
Peu importe l'issue de cette crise, il restera ce constat: «Panini a créé un monstre cette année», conclut Claudio Páez, kiosquier argentin désabusé mais lucide.
Adaptation en français: Yoann Graber