Le mode opératoire est le même: une barre de fer dans les jambes. Les complices ont le même cursus: un ancien mari foireux pour Tonya Harding, des malfrats du quartier pour Aminata Diallo. Le motif à l'avenant: éliminer une dangereuse rivale.
Le rapport d'enquête a révélé lundi qu’Aminata Diallo «nourrissait une véritable haine à l’encontre de sa partenaire de club et en équipe de France (Kheira Hamraoui du PSG), une partenaire qu’elle considérait comme un obstacle à sa propre carrière». Le parisien retranscrit des échanges de SMS:
Diallo est mise en examen pour avoir commandité l'attaque de sa collègue, qu'elle avait ramenée en voiture ce soir-là et déposée aux pieds de son agresseur. «Aminata roulait très doucement, à 5 ou 10 km/h, quand des hommes ont surgi devant le capot. On aurait vraiment dit qu’elle savait comment cela allait se passer», a témoigné Kheira Hamraoui.
Lors de sa première garde à vue, Diallo a orienté les enquêteurs vers les coucheries de sa coéquipière et la vengeance d'une femme jalouse, celle de l'ancienne star du Barça Eric Abidal. Mais des micros placés dans son appartement l'ont trahie. Diallo avait encore tapé «casser une rotule» et «cocktail de médicaments dangereux» sur Google.
Il n'avait pas fallu davantage de temps pour confondre Tonya Harding, passée à la moulinette du FBI puis au détecteur de mensonge. Après l'agression à la patinoire de sa compatriote Nancy Kerrigan, frappée avec une barre de fer sur sa jambe d'appui, Harding avait reproché à son mari d'avoir tout raté et à son complice d’y être allé trop mollo. Suspension à vie, 500 jours de travaux d’intérêt général. Libération conditionnelle en échange des aveux complets.
Diallo, elle, n'échappera pas à la prison. Après la police, la voici livrée à la vindicte populaire, dans une conjonction troublante où un footballeur français est jugé pour viols en série (Benjamin Mendy), où un autre est sous protection policière pour tentative d'enlèvement et d'extorsion (Paul Pogba), où des habitants du quartier pillent des supporters devant le Stade de France à coups de machette et où un président de fédération est accusé d'avoir brutalement sollicité les faveurs de ses employées. Diallo arrive à ce moment-là, en pleine psychanalyse d'une certaine France décadente, la France des quartiers et des énarques, du seum, du smic et de l'argent facile.
Dans une autre culture, Tonya Harding est devenue une icône, l'enfant prodigue d'une Amérique reculée et borderline, l'Amérique des raclées et des caravanes. Entre deux arabesques sur fond de musique classique, la gamine tirait au revolver et démontait des boîtes de vitesses. On en a fait tout un film. Un film à sa gloire.
Harding est une héroïne de l'«american dream»: enfance dans l’Oregon, une contrée revêche du Nord-Ouest, à ramasser des bouteilles vides au bord des autoroutes pour payer ses heures de patinage, à porter des habits de la Croix-Rouge, à déménager tout le temps, à grandir trop vite (donc à voir plus loin que les autres). Sa mère, barmaid, a épuisé six maris. Son père, alcoolo, a usé le même sofa. Une trajectoire inspirante...
Pour le même destin à la Cosette, Diallo sera renvoyée dans le caniveau: enfance à la Villeneuve, un quartier dit difficile de Grenoble, sans grand espoir d'en sortir autrement que balle au pied.
Pour les enquêteurs, Aminata Diallo a sombré dans «une lente dérive psychologique devenue pour ainsi dire pathologique». L'idée de «faire la guerre» lui est venue après un rassemblement de l’équipe de France où le sélectionneur l'avait rappelée en lieue et place de... Kheira Hamraoui, blessée. «Je vais devenir sans scrupule maintenant! Je leur souhaite à tous du mal, je n’ai besoin que de mes proches», a-t-elle écrit au fameux «Jaja». Pour la PJ, le vrai mobile était l'espoir d'une prolongation de contrat au PSG avec un salaire revalorisé à «25 000 ou 30 000 euros bruts, pas moins», si tant est que Diallo devenait indispensable. Donc seule.
Tonya Harding, elle non plus, n’a jamais caché son ambition suprême de «gagner un max de pèze». Elle a même continué après son exclusion des patinoires, tant bien que mal (mais plutôt mal), en diffusant une sextape de sa nuit de noces, en vibrionnant seins nus dans les galas de patinage, puis en commençant une carrière de boxeuse, le temps de passer du tutu aux cuissards, pour finalement vivre aux crochets d'un manager minable.
La chronique l’avait surnommée «l’obèse de l’Ouest», ou «jumping machine». Elle se savait la grâce d’un piston hydraulique. Elle était kitsch à souhait, moulée dans des justaucorps fleuris. Au loin résonnent encore les «Why me, why now?» de sa ravissante victime mortifiée, filmée dans son atroce souffrance, pleurant l’intolérable outrage de la matière grasse sur la matière grise. Ce n'était pas du cinéma. Et ça l'est devenu.
Ce ne sera certainement pas le cas en France où, malgré une mise en scène parfaite de leur pugnacité respective, Kheira Hamraoui reste perçue comme une mauvaise coucheuse et Aminata Diallo comme une vulgaire gagneuse. A cela deux hypothèses. Soit l'époque n'a plus le sens du tragique. Soit la France ne croit plus aux histoires de Cosette.