Michael Albasini, 14 Suisses sont au départ du Tour de Romandie. Assiste-t-on à une éclosion soudaine de talents?
La raison est plutôt structurelle. Le fait de pouvoir inscrire une équipe de Swiss Cycling au départ (réd: le Tour de Romandie l'a invitée cette année encore afin que les jeunes de la Fédération puissent s'illustrer) nous permet déjà d'amener sept coureurs, sans compter que la formation Tudor de Fabian Cancellara sera composée de quatre Helvètes. Et dans d'autres équipes aussi, on trouvera des Suisses, car nous avons actuellement une densité de coureurs qui nous a manqué pendant une bonne période. Marc Hirschi, Gino Mäder, Mauro Schmid, Stefan Küng, Stefan Bissegger... Ils ne seront pas tous là cette semaine, mais ils témoignent du réservoir de champions sur lequel notre pays peut compter.
Vous ne serez plus seulement entraîneur national cette semaine, mais aussi directeur sportif de l'équipe de Swiss Cycling, dont l'objectif sera de donner de l'expérience aux jeunes talents de notre pays.
Oui, d'une part, mais aussi de leur permettre de se montrer. Ils n'ont pas de contrat avec des équipes de World Tour (1re division), ni de Continental Pro (2e division). Ils pourront montrer ce dont ils sont capables. Pour eux, cette épreuve de six jours est un showcase (réd: se dit généralement d'un mini-concert promotionnel lors duquel un artiste se produit).
L'équipe n'aura pas de leader désigné.
C'est vrai, elle n'aura pas de leader "classique", car nous ne jouerons pas le général. Cette course, on la fera par étapes. Nous dicterons les stratégies en fonction des profils de chacun, entre les sprinteurs, les grimpeurs et les rouleurs.
L'édition 2023 semble ardue. Comment jugez-vous le parcours?
Je m'attends à ce que ce soit très dur pour les coureurs de Swiss Cycling, c'est clair, mais il n'y a jamais de Romandie facile ni de course World Tour facile, d'ailleurs.
Quittons un peu l'équipe de Swiss Cycling pour parler des coureurs de notre pays dans les grandes équipes du World Tour. On a le sentiment que le niveau est plus homogène que par le passé, où une star sortait toujours du lot (Cancellara, puis Küng et ensuite Hirschi).
Oui, mais ce sont aussi les médias qui participent à la starification des sportifs. Ce qui est vrai, et différent aujourd'hui, c'est que nous avons des talents capables de s'exprimer sur plusieurs terrains, comme les deux Stefan en contre-la-montre ou Gino Mäder et Marc Hirschi en montagne. Or nous n'avions personne capable de briller en altitude pendant des années.
Comment réagit l'entraîneur national quand il voit Marc Hirschi, un ancien vainqueur de la Flèche wallonne, se sacrifier pour Tadej Pogacar sur la classique ardennaise? Ça lui fait mal au coeur, ou est-ce qu'il se dit au contraire que c'est absolument normal car Pogacar est le meilleur, et que même les talents doivent travailler au service de leur leader, un peu comme Alaphilippe pour Evenepoel dimanche sur Liège-Bastogne-Liège?
D'un côté, on espère toujours que des coureurs suisses vont s'illustrer, parce qu'on aime voir nos champions gagner, et que leurs bons résultats rapportent des points au pays, permettant ensuite à la délégation nationale de pouvoir emmener plus d'athlètes aux Mondiaux et aux JO. Mais d'un autre côté, on se rend aussi compte que c'est une opportunité pour Marc d'être dans l'équipe du meilleur coureur du monde. Je ne pense pas qu'il sera au service de Pogacar toute sa carrière, et puis de toute façon, il aura des chances de briller. À Liège dimanche, son leader a chuté et il a terminé 10e de la course.
On dit des footballeurs suisses qu'ils sont très demandés sur le marché des transferts, car ils sont bosseurs, fiables et bons camarades. Est-ce aussi le cas en cyclisme? Nos coureurs sont-ils appréciés pour les mêmes raisons?
Oui, très certainement. Prenez un coureur comme Michael Schär: il a été au service des meilleurs mondiaux durant toute sa carrière de domestique, et a toujours été demandé par des équipes, car ils reconnaissaient la valeur de son travail. La mentalité suisse a aussi joué en sa faveur. Ce n'est pas notre genre de dire qu'on est les meilleurs du monde et qu'on veut tout gagner. Nous sommes plus tranquilles, et sommes donc capables d'être au service des leaders lorsque la situation l'exige.