Allongé sur le dos, sur la terre battue humide, les bras et les jambes écartés, les mains sur le visage, au bord des larmes. Jamais on n’a vu Alexander Bublik comme ça sur un court de tennis. Cette scène a eu lieu ce lundi, juste après que le Kazakh a battu Jack Draper, la révélation de l’année, en huitième de finale de Roland-Garros.
Désormais, le natif de Russie, qui représente le Kazakhstan depuis 2017, est en quart de finale du Grand Chelem parisien (son premier en Majeur). Il défie le numéro 1 mondial Jannik Sinner ce mercredi.
Se retrouver là, c'était «le meilleur moment de [sa] vie», a déclaré le joueur de 27 ans (actuel 62e mondial), incapable de retenir ses larmes.
Bublik n’est pas un inconnu. Il a remporté quatre tournois et atteint le 17e rang mondial. Mais ce n’est pas ça qui l’a rendu célèbre – ou plutôt populaire. Le Kazakh est considéré comme un génie brouillon, pour qui le spectacle compte parfois plus que le résultat. Coups entre les jambes ou frappés avec le manche de la raquette, services à la cuillère, volées jouées avec tant d’effet qu’elles rebondissent de son côté du filet: Bublik maîtrise toute la panoplie des coups magiques. Ce qui fait de lui le chouchou du public.
Il a un jour déclaré ne jouer au tennis que pour l’argent. Selon lui, ses collègues – et la société en général – voudraient toujours incarner «la meilleure version d’eux-mêmes». Un masque que Bublik déteste.
Le discours se tient. Mais il semble facile à tenir pour quelqu’un qui, dans un sport globalisé comme le tennis, fait partie de l’élite élargie.
Début 2025, lorsqu’il a perdu à Indian Wells et quitté pour la première fois depuis des années le Top 50 mondial, Alexander Bublik s’est senti vidé. Il sortait d’une année durant laquelle il avait tenté d’adopter le mode de vie des ascètes qui visent les grands titres: entraînements plus intensifs, alimentation rigoureuse, abstinence de fêtes.
Le Kazakh avait l’impression de devenir un robot. Il a donc tiré la sonnette d’alarme. Plutôt que de passer plus de temps sur le court ou au fitness, il est parti à Las Vegas avec son entraîneur Artem Suprunov, et s'est vidé la tête au casino. Et voilà que, grâce à cette insouciance retrouvée, sa joie est revenue.
Dans la foulée de cette escapade, Bublik a atteint la finale d’un tournoi Challenger à Phoenix. Peu après, il a battu Andrey Rublev, membre du Top 10, à Madrid, avant de remporter un tournoi Challenger à Turin. Le tout sur terre battue. Une surface qu’il détestait jusqu’ici.
La relation ambivalente qu’il entretient avec le tennis se lit aussi sur le tatouage de son avant-bras droit. Il représente un squelette tenant une balle de tennis, lui rappelant qu’il doit «supporter ce sport chaque jour».
S’il aime être sous les projecteurs, sa femme Tatjana préfère rester dans l’ombre. Leurs apparitions publiques communes sont très rares – comme celle, en 2022, au Festival de Cannes. Et c’est presque par hasard qu'Alexander Bublik a un jour mentionné qu’ils avaient un fils de deux ans, prénommé Vasily. Sa vie privée? Elle le reste.
L’étiquette de génie brouillon qui joue seulement pour l’argent et n'exploite pas tout son potentiel lui colle à la peau. Pourtant, Bublik voit le tennis moins comme un sport que comme un jeu, dans lequel il s’agit de créer quelque chose de nouveau avec une raquette et une balle, et d’émerveiller le public – ce qu’il réussit parfaitement à Paris.
Contre Draper, il a multiplié les services à la cuillère, les coups entre les jambes, et a marqué plus de 30 points en amorties. De quoi se mettre le public dans la poche. Celui de Gstaad aura d'ailleurs l'occasion de le voir à l'oeuvre, puisqu'il participera au prochain tournoi dans l'Oberland bernois (12 au 20 juillet).
Comme tout bon artiste, le Kazakh joue parfois un rôle. Après sa qualification en quart de finale, il a admis s’entraîner «plus qu’une demi-heure par jour», en précisant toutefois:
Mercredi, il espère réussir un nouveau numéro sur le court Philippe-Chatrier, face à celui qui s'apparente comme son parfait opposé: l’Italien Jannik Sinner. Le numéro 1 mondial ne laisse rien au hasard et joue parfois de cette manière que Bublik exècre: comme un robot.
Adaptation en français: Yoann Graber